Alors, que penser de ce film...
J'ai l'impression d'enchaîner les longs-métrages très obscurs ces derniers temps, aussi bien dans leur visionnage que leur interprétation, ce qui me fait perdre confiance quant à mes qualités de spectateur analyste.

Il est pourtant sûr qu'après avoir visionné La Zone d'Intérêt, All of us strangers (extrêmement mal traduit en "sans jamais nous connaître", qui donne une indication malvenue quant à son issue tragique), m'a paru comme étant très limpide, alors qu'il ne l'est pas du tout en réalité, multipliant les ellipses, naviguant sans cesse entre monde fantastico-onirique et réalité la plus crue ainsi qu'alternant entre esthétique clip et longs plans-séquence d'une puissance émotionnelle inouïe qui se diffuse dans le temps.

Le nouveau long-métrage de Andrew Haigh est parfait, soumis à certain point de vue. Le travail sur l'esthétique est tout d'abord absolument magistral. C'est constamment sublime, notamment dans ces scènes d'amour et de confession lorsque les personnages sont éclairés de néons oranges et violets. La photographie est superbe, convoquant une imagerie fantasmagorique qui fait corps avec le récit qui nous est conté, notamment dans les superpositions d'images, dont l'illustration même est lors de cette superbe scène d'ouverture au cours de laquelle on observe une ville en mutation, passant des ombres à la lumière, et celui qui la regarde se métamorphoser, introduisant déjà le genre fantastique, qui tapissera permanamment par la suite le film, sans jamais trop être prononcé. Les scènes de boîte de nuit sont par ailleurs divines de beauté, un régal aussi bien visuel qu'auditif. En parlant de sens, la thématique du toucher est très largement abordée : des personnages à fleur de peau filmés en gros plan, des scènes de sexe merveilleusement chorégraphiées où la peau moite des protagonistes s'ébattant est montrée avec sensualité, désir mais aussi fragilité.

Tout dans la mise en scène fait écho au récit, celui-ci étant très sinueux et malheureusement bien moins réussi que sur le plus strict aspect visuel.

Le scénario est bouleversant et le postulat de départ ne correspondrait à aucune autre dénomination que celle de génie : retrouver ses parents morts brutalement lors de rêveries (parfois cauchemardées) afin de rendre moins douloureux leur départ, de minimiser leur perte et surtout de leur dévoiler cette homosexualité, poids qu'il a sur la conscience et qui reste inexprimé. Et il est là le principal défaut du film : que vient faire l'homosexualité ici ? Je veux bien que le réalisateur soit gay et veuille apporter quelques éléments autobiographiques à son œuvre mais je n'en vois pas l'intérêt. Je ne trouve pas la raison pour laquelle la thématique queer vient interférer un récit de retrouvailles oniriques. N'en reste-t-il pas moins que la relation entre ces deux hommes est très intéressante à suivre, de même que leur reconstruction-destruction mutuelle, jusqu'à un twist final qui m'a tétanisé "pourquoi personne n'est-il venu me chercher ?", déchirant de lyrisme tragique.

Malheureusement, l'originalité ne fait pas un film et, en son cœur, le scénario patine allègrement, ne sachant quelle direction prendre, quels thèmes évoquer. All of us strangers devient donc assez vide et vain, écrasé par son ambition. Je m'explique : comme impressionné par son sujet, Andrew Haigh rétrograde et, même s'il évite tous les écueils de la fresque tragico-fantastique qui pourrait s'embourber dans un trop-plein, il ne cesse de supprimer de la matière, jusqu'à ce qu'il n'y en ait malheureusement plus. Ainsi, il passe à coté de son sujet durant la grande majorité de son film, et les déceptions sont au rendez-vous : trop de mystère et de cut brutaux qui, même si leur utilité est certaine, arrivent à saturation dans leur procédé cyclique et peuvent laisser soupçonner une certaine solution de facilité ; un jeu d'acteur ultra-minimaliste qui, même s'il se voulait étrange et intéressant, devient un énième exemple d'un dispositif cinématographique vain qui se retrouve piégé dans son excentricité ou encore des scènes qui se superposent sans réel lien et qui donnent une désagréable impression de remplissage.

Malgré tous ces aspects négatifs qui font perdre de la valeur et de la qualité au film, son ambiance le sauve. Et quelle ambiance ! Soutenue comme évoqué précédemment par une esthétique inimitable et renversante mais aussi par une musique composée à partir de synthés (du vide et des synthés) ainsi qu'une playlist des années 80-90 de laquelle le magnifique "Always on my mind" se démarque dans une bouleversante scène de rédemption maternelle, elle [l'ambiance] est au final le mobile de la fabrication de ce film, tant elle est travaillée et tant elle englobe ce récit cinématographique.

Après cette presque-heure de creux qui n'est somme toute pas désagréable, nous donnant par moments l'imppression d'être plongés dans un trip expérimental convoquant le film d'horreur, l'érotisme queer suggéré et le drame romantique, les scènes finales se révèlent être toutes plus dechirantes les unes que les autres, en particulier à la toute fin, où, dans une fabuleuse référence à Mysterious Skin, un couple fantasmé allongé dans un lit se transforme en poussière d'étoile (peut-être la plus belle scène de l'année, et l'une des meilleures transitions que j'ai pu voir !).

All of us strangers est donc magnifique dans son intention, sublime dans son esthétique et merveilleux de par son ambiance mais, malgré le fait qu'il soit doté d'un scénario travaillé, il n'échappe pas à l'écueil d'une certaine stérilité qui, bien que décevante, n'empêche l'appréciation d'un film malgré tout très réussi.

Phantasmagoria
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le 21 févr. 2024

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