Inverser les représentations

Avant tout un très bon film d'action, avec un scénario aux petits oignons, du suspense et une jolie galerie de personnages; intelligemment construit, puisque le film débute dans l'action, avec les huit protagonistes principaux qui se retrouvent dans un coin paumé du Texas et que l'on apprendra tout au long du film, par une série de flashbacks qui contribuent habilement au scénario, les raisons de leur présence en ces lieux. Le tout soutenu par des acteurs habités et une bande-son angoissante à souhait : de quoi tenir le spectateur en haleine et sur les nerfs pendant près de deux heures.

Il convient évidemment de mettre cela en perspective avec le fait qu'il s'agit d'un film avant tout politique, même s'il emprunte la plupart des codes du cinéma dit de divertissement. Qui s'inscrit quelque part en complément des innombrables documentaires qui existent sur les méfaits et les dégâts des énergies fossiles. Il ne s'agit pas en l'espèce de les opposer (approche "intelligente" et documentée du sujet versus style blockbuster) mais plutôt de s'interroger sur leurs apports respectifs : le propos du réalisateur et des scénaristes est probablement de toucher un public distinct de celui qui s'adonne aux documentaires et possiblement plus enclin à l'action. Le film propose ainsi un contre-récit des luttes écologistes, qui, comme il est bien fichu, offre une excellente démonstration de la puissance évocatrice du cinéma : quand les mauvais deviennent les bons, et réciproquement, le spectateur ne voit plus les choses de la même façon.

Reste à savoir si l'objectif du réalisateur sera atteint. Pour ce qui est de la France, avec une date de sortie en salle un 26 juillet, il n'est pas certain qu'il aura une large audience. Quoiqu'avec le bouche à oreilles, amplifié par les réseaux sociaux...dans la salle Art & Essais où je l'ai visionné, il y avait un nombre inhabituellement élevé de spectateurs pour une séance de l'après-midi et la moyenne d'âge y était bien moins élevée que d'ordinaire (j'étais parmi par les plus vieux alors que je suis généralement parmi les plus jeunes). Et la séance du soir (avec rencontre avec Extinction Rébellion) affichait complet dès 14h. Le risque étant toutefois que ce film ne soit vu que par des personnes déjà convaincues. Pour autant, il est sorti en France avec une très grande discrétion : on aurait pu s'attendre à ce qu'il fasse l'objet de commentaires acerbes de la part de la classe politique, voire à ce qu'il soit censuré. Car il est tout de même très largement inspiré du bouquin d'Andreas Malm, "Comment saboter un pipeline ?", utilisé comme par le régime comme élément à charge pour dissoudre le collectif "Les soulèvements de la terre", qualifié de terroriste. Le titre original du film est d'ailleurs celui du bouquin; il a été pudiquement traduit en Sabotage pour sa version française.

L'avenir nous dira s'il est parvenu à éveiller quelque peu les consciences. Aux États-Unis, ce n'est pas impossible. En France, si les politiciens commencent à crier au loup, ça voudra dire qu'il est sur la bonne voie...