Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, U.S.A, 1992, 1h35)

Autant commencer directement par ça, ‘’Reservoir Dogs’’ est, à titre personnel, le meilleur film de Quentin Tarantino. Profitant certainement du fait d’être sa première œuvre professionnelle, elle est absolument surprenante et rafraîchissante, encore aujourd’hui dans un Hollywood trusté par les blockbusters génériques. D’une richesse incroyable, ce film pose déjà plus que les bases de tout ce qui fera le ‘’style Tarantino’’ par la suite.


Avec son ambiance ‘’À la cool’’, ‘’Reservoir Dogs’’ en revient à une conception de cinéma héritée des années 1970, qui s’est faite plus rare durant des années 1980, quand les productions de genre à gros budgets sont devenus standards. Par une démarche très ‘’cinéma vérité’’, dans les pas des réal’ du Nouvel Hollywood, c’est aux gens du quotidien que s’intéresse le récit. Et les références ne s’arrêtent pas là, puisque les costards noirs et les lunettes de soleils sont un rappel très direct à la Nouvelle Vague française des années 50/60.


À travers ce premier film, Tarantino montre à quel point il maitrise les codes scénaristiques, au point de jouer avec comme un sale gosse qu’il est. Et peut-être plus admirable encore, est la manière dont il met en scène son scénario. Si de nombreux plans font échos directement à des œuvres qu’il affectionne, il opère un mélange d’influences multiples et crée de toute pièce une nouvelle mythologie hollywoodienne moderne, en utilisant la mythologie préexistante.


Rien que l’origine du titre, ‘’Reservoir Dogs’’, est une obscure référence à la fin du ‘’Body Double’’ de Brian DePalma en 1984. Cinéaste pour lequel Tarantino ne cache pas son admiration, le citant régulièrement dans ses œuvres ; que ce soit au détour d’un décor, d’une affiche, d’un plan de caméra, d’un dialogue. ‘’Reservoir Dogs’’ n’existerait tout simplement pas, du moins pas dans cette forme, si ‘’Body Double’’ n’existait pas. Ce dernier étant déjà une version postmoderne du cinéma d’Alfred Hitchcock, cela fait de ‘’Reservoir Dogs’’ une œuvre métamoderniste par excellence.


La construction en tiroir de l’ensemble, et ses allers/retours dans le temps, à l’aide de flashback intelligemment disséminés tout au long du récit, est l’une des principales réussites du métrage. Particulièrement bien construit, avec ses chapitres qui introduisent les protagonistes, en abordant différents points de vues. En plus de développer l’histoire au-delà du casse foiré, sujet central du récit, bien que l’on ne voit quasiment rien dudit casse, cela permet de solidifier des personnages, par le biais d’un fin structuralisme.


Agrémenté d’un humour très sombre, caustique même, mais toujours très drôle, puisqu’il fait mouche sans arrêt, grâce il faut le dire à des comédiens phénoménaux, qui donne une véritable texture à des personnages fourbes, détestables, racistes et violents. Voir même totalement psychotiques dans le cas de Mr Blond (extraordinaire Michael Madsen).


L’un des talents fondamentaux de Tarantino, est cette capacité à proposer une très complète idiosyncrasie de ses personnages, qui les rend infiniment vivants. Tous sans exception sont d’une insondable richesse, avec des backgrounds qui ne nécessitent que très peu d’explications pour être tout de suite cernés par les spectateurices ; cela est également vrai pour les rôles secondaires.


Le cas de Mr Blue est analogue, il ne prononce pas un seul mot et ne semble présent que pour sa gueule. Pourtant, son visage buriné en apprend beaucoup sur l’homme qu’il est, et sa présence dans ce gang, qui n’est pas le fruit du hasard. En poussant la recherche un petit peu plus loin, Tarantino étant un cinéaste cinéphile qui a presque inventé à lui tout seul le métamodernisme au cinéma, il y en a surement beaucoup plus à apprendre sur Mr Blue.


En effet, après renseignements l’interprète de Mr Blue n’est autre qu’Eddie Bunker, un repris de justice né en 1933 durant la Grande Dépression. Dès l’âge de 5 ans il commet de multiples larcins qui, une fois adulte, le mène à passer pas mal de temps en prison. Il s’y évade deux fois et mène une cavale de deux ans, avant de se repentir pour devenir écrivain, puis scénariste.


Lors d’un de ses séjours en prison il rencontre un certain Danny Trejo, une figure bien connu des amateurs du duo Tarantino/Rodriguez. Le monde est petit. Ce passif d’Eddie Bunker, qui se transmet juste avec sa gueule, participe à faire monter le badassOmètre de ‘’Reservoir Dogs’’. Car rien que sa présence ouvre tout un monde, que le film exploite à merveille.


Bref, on pourrait faire une analyse poussée pour chacun des personnages, mais ça ne serait pas spécialement productif. Le mieux est encore de voir et revoir ce chef d’œuvre du cinéma indé des nineties qui, à bientôt 30 ans, demeure incontournable dans un genre où il reste inégalé. Cette œuvre totalement indépendante est la dernière pour Tarantino, puisque le distributeur Miramax, qui a acheté le film, deviendra par la suite le producteur/distributeur exclusif de toutes ses réalisations.


‘’Reservoir Dogs’’ c’est l’entrée fracassante d’un jeune cinéaste ambitieux dans la cours des grands ; prenant une place qui n’existait pas encore dans la Pop Culture, qu’il occupe depuis maintenant trois décennie, bientôt quatre. Et il suffit de prendre ‘’The Hateful Eight’’ en 2015 pour comprendre à quel point sa première réalisation est une œuvre réellement séminale dans sa filmographie. C’est bien simple, son ombre plane au-dessus de chacun de ses films.


Il est d’ailleurs amusant d’observer que tous ses métrages sont d’une certaine manière plus ou moins une succession de suites. Ils se déroulent dans un seul et même univers fictif, mais cohérent, qui n’est autre que celui qui se trouve dans la tête de Tarantino. Un univers très personnel sur lequel il ouvre une petite lucarne pour nous laisser en observer un échantillon.


Tarantino invente en 1992 une nouvelle langue cinématique. S’il n’en a pas la paternité exclusive, il est celui par qui ce langage s’est démocratisé. Il est accompagné de Robert Rodriguez, qui la même année débarque avec El Mariachi, et Roger Avary, dont le ‘’Killing Zoe’’, en 1994, est totalement représentatif de l’état d’esprit de ces cinéastes. Il est également possible d’y inclure Alexandre Rockwell, et dans une moindre mesure Steven Soderbergh, cinéaste tout de même bien plus versatile.


C’est ainsi une toute nouvelle génération de cinéastes alternatifs qui débarquent avec fracas dans une industrie légèrement moribonde. Des auteurs complétement à contre-courant, qui jouissent d’une liberté totale sur leurs créations. Ce qui dans les années 1990 est plutôt rare dans le cinéma américain.


Pour faire simple, ‘’Reservoir Dogs’’ est bien plus qu’un premier film, c’est un programme, l’œuvre somme d’un cinéaste génial, qui démontre là tout son talent d’auteur. Il est impossible de retrouver quelque chose à redire sur ce film, tellement il manque d’arrogance ; lui conférant une nature authentique et sincère. Contrairement à certaines de ses œuvres ultérieures. Mais en 1992, c’est sans aucune prétention qu’il vient proposer une série B efficace, avec un goût prononcé pour l’action cheap, qui stimule la fibre cinéphile d’un tout à chacun.


Bref, un chef d’œuvre du septième art, comme il en existe peu, et qui continue à faire date. Dans l’attente d’une relève, qui peine à se démarquer… Et pour conclure, laissons la parole à Joe qui peut résumer la vision du cinéma par Tarantino :



Now listen up, Mr. Pink. There's two ways we can do this job. My
way... or the highway!



-Stork._

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le 21 sept. 2020

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