Au royaume des zombies philosophiques

À peine remis du diptyque Shokuzai sorti l’année dernière, le prolifique japonais Kiyoshi Kurosawa revient à la charge avec Real, film tout aussi ambitieux, tant sur sa construction que son esthétisme, dans lequel il continue de sonder la conscience et l’inconscient peuplés d’un monde de fantômes, appelés ici les zombies philosophiques. Atsumi, une jeune dessinatrice de mangas, est dans le coma depuis une tentative de suicide. Désarçonné, son petit ami Koichi intègre un programme révolutionnaire qui lui permet de pénétrer dans l’inconscient de Atsumi afin de comprendre les raisons qui ont pu l’amener à cet acte terrible et de la ramener au monde réel.

Donner justement un aspect réel à tout ce qu’il filme, y compris lorsqu’il s’agit de spectres ou de visions ironiques, constitue l’axe majeur du travail du réalisateur de Kairo, ancien maitre du genre fantastique qui est toujours présent dans son œuvre actuelle. Real se propose donc d’explorer les labyrinthes de l’inconscient forgé le plus souvent par les souvenirs et les traumatismes de l’enfance. À l’instar des jeunes héroïnes de Shokuzai, qu’est-il caché dans le cerveau longuement endormi de Atsumi ? Et comme dans le double opus précédent, les rebondissements promettent d’être nombreux.

On plonge à nouveau dans le monde de l’enfance, aidés en cela par le physique adolescent et gracile de Koichi et Atsumi. De la même manière, on est immergés dans la culture nippone, aussi bien dans la manière d’affronter la culpabilité et le pardon que dans l’expression qui revisite les codes du manga, non seulement par le métier de la jeune femme, mais aussi par le satin des visages et, plus généralement, la stylisation toujours remarquable de la mise en scène. Kiyoshi Kurosawa n’en finit pas de nous perdre entre réalité et virtualité, en ouvrant constamment de nouvelles voies dans l’entrelacs dédaléen qu’il échafaude sans aucune erreur ni temps mort. De plus, il réussit à s’approprier toutes les réminiscences d’un passé récent qui ont ébranlé son pays pour les instiller dans une déchirante et poétique histoire d’amour.

À mille lieues du film aseptisé et inoffensif de Spike Jonze, où il est aussi après tout question de communication virtuelle et d’histoire d’amour, Real stupéfie par sa beauté, sa poésie enchanteresse et l’intelligence des émotions qu’il fait naitre chez le spectateur subjugué et durablement envoûté.
PatrickBraganti
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le 27 mars 2014

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