R.M.N. scanne différents organes perçus à différentes échelles, depuis ses personnages jusqu’aux pays dont ils sont originaires et qu’ils représentent parfois, en passant par la communauté villageoise et européenne, pour mieux révéler le cancer qui les gangrène progressivement. Le choix d’un village de Transylvanie où la population est pluriethnique et pourtant antieuropéenne constitue un choix pertinent puisqu’il se situe à la frontière de différents pays environnants qui font de lui une terre de passage, entendue comme un espace d’émigration (on le quitte pour aller travailler ailleurs, là où les salaires sont meilleurs) et d’immigration (on l’investit pour trouver du travail dans des conditions meilleures que celles offertes par son propre pays). Le premier segment du long métrage suit ainsi le retour de Matthias qui fuit l’Allemagne après des insultes racistes et tente de se réinsérer dans un microcosme qui a entretemps évolué : son écartèlement entre deux femmes, comprenons la mère de son fils d’une part, nommée Ana, et son amante Csilla d’autre part, construit un dilemme qui rejoue sur le plan des sentiments le dilemme politique et moral face à l’arrivée de trois ouvriers sri-lankais. Le déchaînement de propos xénophobes résonne avec la montée récente des partis d’extrême-droite en Europe, et se heurte à la réalité d’un pays lui-même concerné par les déplacements massifs de population – mais à son avantage !

Christian Mungiu confond habilement les enjeux et les points de vue, s’emparant de celui de Matthias comme d’un vecteur issu de l’étranger et dirigé vers le village : sous ses yeux s’envenime une situation à laquelle il finit par prendre part, ce qui l’amène à perdre l’apanage de la focalisation qui revient aussitôt aux femmes, d’abord l’épouse, ensuite l’amante. Ce duo de femmes, habituel dans le cinéma de Mungiu, sert à blâmer tout à la fois le patriarcat viriliste, puisque le père entend reprendre en main l’éducation de son fils par ses balades armées en forêt, et la xénophobie ambiante. La séquence de tribunal populaire, d’une belle intensité dramatique, cristallise les conflits internes et externes du village et de l’Europe tout entière, incarnée par un journaliste français venu donner des leçons de protection de la nature en comptant les ours. Le film prend alors des allures de conte en glissant du réalisme quasi documentaire au fantastique.

Un magnifique contrepoint est alors trouvé en trois corps souvent silencieux mais profondément humains – dimension explicitée par l’appel passé à table avec leur famille –, les Sri-Lankais refusant de répondre aux attaques verbales et physiques, opposant à l’inertie d’un nationalisme hypocrite la discrétion et le souci du travail bien fait.

Créée

le 25 avr. 2024

Critique lue 7 fois

1 j'aime

Critique lue 7 fois

1

D'autres avis sur R.M.N.

R.M.N.
Sergent_Pepper
8

Babel without a cause

Le cinéma de Cristian Mungiu appartient à cette catégorie si facilement caricaturable, cochant à peu près toutes les cases du film d’auteur à festival : roumain, social, long, d’un pessimisme...

le 21 oct. 2022

29 j'aime

R.M.N.
Plume231
5

Hôtel Transylvanie !

Le cadre : un village de Transylvanie. Sa faune : un mélange de Roumains de diverses communautés multilingues, s'entendant plus ou moins bien (plutôt moins que plus !). Son environnement : un milieu...

le 20 oct. 2022

23 j'aime

10

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14