Le film se déroule dans un village roumain où cohabitent roumains et hongrois depuis plusieurs générations. Ce détail a même son importance avant le début du film puisque les sous-titres seront affichés de différentes couleurs selon la langue parlée.

La scène introductive du film est pourtant silencieuse. On suit un enfant qui marche dans une forêt avant de s'arrêter et de lever les yeux vers un élément que le spectateur ne verra pas. Il part en courant et laisse le spectateur avec ce mystère. Le spectateur découvre ensuite Mathias qui, dès la scène où il est introduit, fuit l'Allemagne et l'emploi qu'il occupait suite à une altercation au cours de laquelle il est victime de racisme.

De retour dans son village, Mathias sert de point d'ancrage à plusieurs thèmes d'actualité qui seront développés par le film. Les premiers thèmes sont regroupés autour de sa figure d'homme viril toxique. Il est rejeté par sa femme et son fils pour ses méthodes d'éducation datées. Le film développe ici l'intrigue présenté dans sa scène d'introduction. Le fils est choqué, se mure dans le silence et refuse de retourner dans la forêt. Mathias ne supporte plus la protection qu’offre sa femme à son fils et préfère en faire un « vrai » homme qui affronte ses peurs.

Il est également rejeté par sa maîtresse pour son comportement agressif. Elle, cheffe d'entreprise, semble avoir plus évolué que Mathias qui reste enfermé dans une figure désuète d'homme alpha. Le jeu de Martin Grigore dégage quelque chose d'extrêmement malaisant tout au long du film et la frontière de la violence ne semble jamais loin de Mathias tant cela devient son seul mode d'expression possible, les autres émotions lui semblent défendues.

Ce thème de la masculinité n'est pas central. Les principaux thèmes sont en effet ceux de la xénophobie et du libéralisme lorsque des Sri-lankais arrivent au village pour travailler à la boulangerie en manque de main d'oeuvre. Ces nouveaux ouvriers cristallisent la haine de plusieurs habitants, pourtant eux-mêmes issus d'immigrés hongrois. Le film est semblable à un autre film sorti cette année, As Bestas, de par son intelligence et sa finesse. Malgré la complexité des sujets traités, il ne tombe jamais dans la facilité d'apporter un jugement sur les positions des différentes parties qui s'opposent.

De plus, il dispose tout comme As Bestas d'une scène magistrale, celle du conseil municipal exceptionnel. La scène est similaire dans la forme avec un plan fixe faisant face aux personnages et dans le fond puisque tous les enjeux sont présentés dans leur forme la plus objective. La tension est autant palpable dans les deux scènes et n'est jamais loin de faire basculer l'échange dans la violence. La scène s'étale sur une dizaine de minutes sans jamais perdre en intensité ni en intelligence. D'un côté, un groupe de villageois veulent intégrer les Sri-lankais, humains comme les autres, nécessaires à l'économie du village puisque les postes resteraient autrement vacants. De l'autre, un groupe qui refuse de les accueillir au risque d'en voir arriver davantage et qui s'insurgent contre le niveau des salaires proposés par la boulangerie. Comme As Bestas, la force du film est de ne jamais trancher d'un côté ou de l'autre et de laisser ces deux opinions coexister, puisqu'elles sont toutes deux l'expression d'une même vérité.

Si la violence n'est jamais loin tout au long du récit, la bascule ne s'opèrera que dans la scène finale, véhiculée par Mathias qui souffre trop de ne pas trouver sa place depuis le retour de son village. Une nouvelle fois, le film a l'intelligence de suggérer simplement cette violence et de s'en détourner formellement pour proposer une scène poétique et symbolique qui témoigne une dernière fois de la subtilité du réalisateur.

Alsh74
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le 13 nov. 2022

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