Un colosse ressemblant au David de Michel-Ange qui vomit son ADN dans les eaux vierges des origines du monde; des scientifiques qui plusieurs millénaires plus tard mettent au jour un message séculaire et l'interprètent comme une invitation des anciens astronautes; un vaisseau silencieux qui fait route dans l'espace vers une destination inconnue; un veilleur aryen, simulacre solitaire qui parcourt les couloirs endormis de ce même vaisseau et qui met à profit sa solitude pour apprendre et simuler l'humanité à laquelle il aspire; le réveil des dormeurs au long cours, un équipage qui découvre tardivement la raison de leur odyssée : rencontrer une espèce sensée détenir la clé de toute vie, voire de l'immortalité...


Dès sa fascinante exposition, Prometheus promet d'être un nouveau monument de SF, dont la splendeur visuelle n'a d'égale que l'ambition des thématiques qu'il se propose d'aborder : les origines de la vie et de l'humanité, le rapport de l'homme au divin, celui de l'homme à sa création (en l'occurrence ici son parfait simulacre), l'éternel soif de découverte et de vérité de l'humanité...


Ce qui au départ ne devait être qu'une simple préquelle d'Alien narrant les origines du xenomorphe vedette bifurque finalement vers une SF plus clarkienne, Prometheus évoquant par certains aspects les obsessions de l'auteur de La Sentinelle et de 2001, l'Odyssée de l'espace. Pour son grand retour à la SF, près de trente ans après avoir offert coup sur coup au 7ème art deux des plus grands films relevant du genre, Ridley Scott voyait les choses d'un oeil de géant. Il faut dire que le cinéaste n'aura eu de cesse de livrer des oeuvres de plus en plus ambitieuses au cours de sa prolifique filmographie, touchant à presque tous les genres cinématographiques, que ce soit la chronique criminelle, le thriller d'espionnage, le biopic, le giallo déguisé, le film de guerre, la comédie policière ou encore l'épopée historique. Durant les trente années qui séparent Blade Runner de Prometheus, Scott aura néanmoins plusieurs fois tenté de revenir à la SF, notamment à la fin des années 90, où il perdit près de deux ans de sa vie à travailler sur un projet d'adaptation du roman Je suis une légende de Richard Matheson. Puis au sortir du tournage d'Hannibal en 2001, il se lança dans le développement d'un Alien 5, mais je vais y venir...


Véritable boulimique de travail, dont l'âge avancé n'a en rien atténué le caractère visionnaire, Scott entreprit en 2011 de lancer son projet de préquelle de la saga Alien avec pour objectif de s'intéresser à l'une des seules questions restée sans réponses depuis le premier film, les origines du mystérieux et inquiétant Space Jockey. En effet, au grand étonnement du réalisateur, aucune suite n'était jamais revenu sur ce personnage séculaire et il existait donc dans l'univers d'Alien une toute autre espèce extra-terrestre assez développée pour voyager dans l'espace et déployer une technologie biomécanique avancée. A ce titre, il faut savoir qu'en 2002 déjà, Scott avait longuement planché sur le projet de réaliser lui-même la suite d'Alien Résurrection dont la fin (la plus ouverte de la saga) laissait présager une suite de grande envergure sur Terre. Il s'était alors adjoint les services d'un scénariste de taille pour développer cet Alien 5 : le dénommé James Cameron (associé à un autre scénariste dont j'ignore l'identité). Ridley Scott à la réal, Cameron au scénario, le projet avait de quoi faire fantasmer des légions de fans à travers le monde si seulement il avait été assez médiatisé, ce qui ne fut pas le cas. D'autant qu'en 2006, les décisionnaires de la Fox annoncèrent au pugnace Jim Cameron qu'ils ne produiraient pas de cinquième opus, les financiers lui préférant l' "excellent" script de Paul W.S. Anderson qui deviendrait à l'écran le cross-over opportuniste Alien versus Predator avec le résultat que l'on connait (merci beaucoup Paul). Le projet Alien 5 fut dès lors enterré, entraînant la consternation de Cameron qui prédit alors que ce cross-over "détruira l'intégrité de la franchise Alien" sur le seul prétexte de relancer en même temps la franchise défunte Predator. Mais si le réalisateur d'Aliens et d'Avatar s'est rapidement détourné de la franchise Alien, Ridley Scott lui n'a jamais abandonné l'idée de revenir un jour ou l'autre à cet univers et c'est en 2009 qu'il obtient enfin l'appui de la Fox pour revenir à la franchise dont il fut l'instigateur. Il développe alors le projet d'une préquelle cette fois pour le compte de Scott Free (sa propre société de production) et, doutant de ses capacités à réaliser un troisième film de SF après tant d'années, envisage d'en confier la réalisation à un de ses protégés, Carl Rinsch. Ce à quoi la Fox s'oppose catégoriquement. Refusant de confier la franchise à un novice, le studio insiste pour que ce soit Scott lui-même qui réalise ce prequel, ce que ce dernier finit par accepter non sans une certaine appréhension ainsi que l'excitation de concrétiser enfin son vieux rêve de revenir à la saga.


Insatisfait des cinq versions du scénariste John Spaihts, Scott fait appel en 2010 à Damon Lindelof pour remanier de manière radicale le scénario, selon les désirs du versatile réalisateur pour qui l'histoire du Space Jockey du premier film devient paradoxalement dérisoire. A Lindelof de satisfaire les caprices narratifs de Scott pour rédiger un récit indépendant qui ne sera donc plus un simple prélude au Alien de 1979 mais bien un authentique thriller indépendant de science-fiction. La suite vous la connaissez, à sa sortie en 2012, Prometheus divise radicalement la critique et le public au point que plusieurs langues de vipères se vautrent dans la facilité de la critique injurieuse aussi vaine que malhonnête.


Car Prometheus n'est pas un mauvais film comme certains se bornent malicieusement à le croire et à le proclamer. Certes, le film souffre de nombreux défauts, des incohérences parfois trop évidentes, certainement dues aux nombreuses ré-écritures de son scénario ainsi que de son re-montage de dernière minute. En résulte une oeuvre qui ne fait finalement que suivre les grandes lignes du premier Alien. On retrouve dans les deux films plus d'une similitude narrative : un atterrissage sur une planète inconnue et brumeuse, la découverte d'un artefact étranger, des créatures à leur stade primaire qui sautent littéralement à la gueule de leurs visiteurs, l'auto-césarienne qui ne fait finalement que citer la scène du chestbuster du film original, l'androïde décapité qui continue de bavarder, et cet affrontement final dans la navette de secours. D'où parfois la fâcheuse impression que le film hésite entre préquelle et remake. Au vu de l'ambition du réalisateur on aurait été en droit d'attendre beaucoup mieux d'un point de vue scénaristique et même formel, certaines séquences paraissant étonnament bâclée de la part du réalisateur de Gladiator, notamment celle du retour de Fifield au vaisseau et de l'affrontement qui s'ensuit.


Des scories indéniables qui n'empêchent cependant pas d'apprécier Prometheus pour ce qu'il est réellement, un formidable film de SF hardcore aussi somptueux dans la forme que fascinant dans le fond. Le film de Scott brasse ainsi une pluralité de thématiques, abordant autant la question des origines de l'homme, de son rapport aux dieux qui l'ont créé (ou vice-versa), soutenu par une religiosité diffuse et contradictoire parfaitement représentée par le personnage de l'exploratrice Elizabeth Shaw, dont le rationalisme scientifique s'oppose constamment aux réminiscences chrétiennes inculquées par son père missionnaire.
La référence à la théorie de l'auteur Erich Von Daniken, selon laquelle l'humanité aurait été créée par une espèce extra-terrestre, devient évidente dès ce fascinant prologue qui nous transforme en témoin de la genèse de toute vie terrestre et qui lorgne radicalement vers l'oeuvre de Arthur C.Clarke. Ainsi, on retrouve beaucoup du réalisme science-fictionnel de l'auteur de 2001 durant toute l'exposition de l'intrigue avec cette ambition prométhéenne de confronter créateur et créature. Une ambition cristallisée non seulement par cette volonté de rencontre avec les premiers explorateurs mais aussi par le personnage ambivalent de David 8, un être artificiel avec lequel nous prenons amplement le temps de faire connaissance lors de son errance solitaire dans les couloirs du vaisseau endormi. Parfait miroir de ses créateurs, David apparaît dans un premier temps comme le majordome dévoué d'un équipage dont la plupart des membres le méprisent ouvertement et ne le considèrent que comme un bipède artificiel. Une façon méprisante de voir l'androïde comme un sous-être, une vulgaire machine doublée d'un larbin dénué du moindre libre arbitre mais tout entier au service de ses maîtres. Ils n'imaginent pas un seul instant que tout aussi artificiel puisse-t-il être, David est une forme de vie comme une autre, consciente de sa propre existence jusqu'à prendre lui-même ses propres décisions (la scène du verre et la question fatidique qu'il pose à son interlocuteur). D'où un certain ressentiment de la part de David, amplement justifié, et qui détermine toute l'ambiguité morale du personnage, lequel est notamment présenté par le fantôme de Weyland comme le fils qu'il n'a jamais eu, loyal mais artificiel et donc dénué d'âme (une réflexion qui semble d'ailleurs blesser David). Mieux encore, David semble progressivement faire l'apprentissage de l'humiliation et du ressentiment. A travers ses réponses et son attitude équivoque, il révèle progressivement un certain ego voire même de la pure vanité, lui conférant alors une singularité étonnante apte à le différencier des autres modèles de sa génération (il est évoqué qu'il est issu d'une série d'androïdes fabriqués en grand nombre). Son rapport conflictuel et quasi-fraternel avec Meredith Vickers (voire la scène où ils s'expliquent dans le couloir) mais surtout celui qu'il entretient avec son "père" Peter Weyland renvoie indéniablement au complexe oedipien de Roy Batty dans Blade Runner, cette volonté de tuer le père ou d'attendre simplement sa mort pour s'affranchir enfin de son référent et affirmer de la sorte sa propre individualité. Cette inversion subtile et progressive des rôles entre le serviteur et le maître n'est pas un hasard, Ridley Scott ayant demandé à Michael Fassbender de s'inspirer du jeu de Dirk Bogarde dans le film The Servant de Joseph Losey. Mais la référence cinématographique la plus évidente dans le script reste bien sûr celle de Lawrence d'Arabie, David ayant vu tant de fois le film de David Lean qu'il en a mémorisé des bouts de dialogues qu'il cite invariablement dans ses répliques. De même pour son choix de se teindre les cheveux en blond afin de ressembler à Peter O'Toole et donc de se distinguer physiquement des autres David. Mû par une curiosité intarissable le poussant à développer ses propres motivations, David apparaît parfois tout aussi humain que ses créateurs, une sorte d'enfant trop curieux dont le sort final le reléguera à nouveau à son statut de simple créature artificielle, parfaite en apparence mais finalement si fragile...


Ce seul personnage ouvre des perspectives réellement intéressantes et en parfaite corrélation avec les préoccupations kubricko-clarkiennes d'un 2001 l'odyssée de l'espace, ici clairement revendiqué par Scott. Mais qu'on ne s'y trompe pas, Prometheus a beau lorgner du côté d'une SF éminemment méta-physique, il n'en reste pas moins une préquelle ancrée dans l'univers d'Alien. On y retrouve ce même univers futuriste et mystérieux où l'omni-présente Compagnie, ici représentée par une glaciale executive woman (préfigurant les Burke, Van Lowen et autres Bishop 2), se lance déjà dans une politique de conquête spatiale, annonçant les futurs enjeux de la saga mythique. Conférant à son film un réalisme sans faille via des effets visuels et un design général simplement somptueux, Scott nous invite aux prémisses de son chef d'oeuvre antérieur où l'espace reste encore un univers à conquérir et où les protagonistes tiennent plus d'explorateurs fébriles que de vieux routiers des étoiles. Mais si le premier Alien avait su avec brio renouveller le genre de la science-fiction en y insufflant une conception hautement horrifique de la vie extra-terrestre, Prometheus s'éloigne tout d'abord de la peur pure et dure instillée par son modèle pour embrasser une vision plus émerveillée du voyage spatial et ce, jusqu'à ce que les enjeux du récit se précisent et traitent frontalement les conséquences horrifiques de son histoire. Pourtant, là où la plupart des préquelles prennent le parti de nous narrer les événements ayant abouti à une intrigue connue (Star Wars, The Thing), Prometheus effleure sciemment les origines du xénomorphe, traitant son existence comme la résultante d'un terrible effet de causalité. Un accident biologique en somme, causé en partie par les propriétés néfastes de ce liquide étrange et noir contenue dans des jarres qui par leur disposition évoque évidemment le champ d'oeufs reposant dans la soute du Derelict d'Alien.


Loin de capitaliser à fond sur les fondamentaux de la franchise dont il se propose d'être un (faux) prologue, Prometheus ne fait finalement que distiller au compte-goutes les références visuelles et narratives de la saga. Les scénaristes auraient pu trouver tant d'autres explications aux origines de cet univers et de sa créature monstrueuse mais ils ont finalement décidé de jouer à fond la carte de l'incertitude. Tout n'est que spéculation. On ne saura ainsi jamais ce que contiennent ces jarres ni même quel aurait été la finalité de la métamorphose des personnages contaminés par le liquide noir. C'est bien cette succession d'événements désastreux qui aboutira à l'émergence d'une espèce proprement contre-nature et dont l'hostilité ne connaît aucune limite. Une némésis qui ne fait finalement que répondre au mythe annoncé par le titre du film, comme un ultime fléau lancé à l'encontre de l'humanité.


A ce titre, l'image finale en fera trépigner plus d'un tout comme cette ultime destination avouée par les survivants. En cela, Prometheus est donc moins une préquelle à Alien que le prologue d'une toute autre intrigue, suscitant bien plus d'interrogations qu'il n'apporte finalement de réponses au film de 1979. Non exempt de défauts, ce troisième film de SF de Ridley Scott n'en demeure pas moins une oeuvre fascinante à plus d'un titre, ouvrant des perspectives visionnaires apte à faire rêver tout véritable fan du genre. Vivement la suite !

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le 28 juil. 2015

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Buddy_Noone

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