Promesse
7.3
Promesse

Film de Yoshishige Yoshida (1986)

Qui d'autre que Kijû Yoshida pouvait aborder de la sorte le douloureux sujet de la fin de la vie, sans détour ni ménagement ? Personne, sans doute... ce n'est pas qu'il soit plus talentueux que les autres, mais on peut lui reconnaître une certaine légitimité ! La vie, il l'a filmé sous toutes les coutures, film après film, scrutant du coin de l’œil émoi, désir et passion charnelle, exaltant la beauté d'un corps féminin bien souvent incarné par Mariko Okada. Depuis le temps a fait son œuvre, flétrissant les corps, émoussant la santé, précisant chaque jour un peu plus l'idée d'une mort prochaine. Avec Promesse, il filme ce que le cinéma occulte habituellement, il nous montre ce que l'on préfère bien souvent ignorer ou oublier, à savoir la basse besogne de la mort qui épuise jusqu'à son dernier soupir un être, un couple, une famille.


Oublions tout de suite l'idée d'une grande tragédie larmoyante, car c'est à une véritable enquête à laquelle Yoshida nous convie. Méthodiquement, froidement, sans chercher à faire dans le sensationnel, il analyse les comportements des uns et des autres, examine les alibis, interroge les suspects et traque la vérité, même la plus dérangeante. Chez les Morimoto, le corps de la grand-mère vient d'être retrouvée sans vie. La question se pose : mort naturelle, meurtre, suicide ou euthanasie ? Rapidement l'investigation policière met en relief les attitudes troubles de l'entourage : chaque membre de la famille avait une bonne raison de souhaiter la mort de la vieille dame. Et là, avec beaucoup d'intelligence, en montrant que la frontière est ténue entre meurtre et euthanasie, Yoshida élève la portée de son sujet en mettant en évidence le pouvoir de cette mort qui ne se contente pas de détruire des organes, mais s'attaque également à notre part d'humanité, en mettant à mal nos valeurs intimes et familiales.


Après avoir exalté pendant de nombreuses années la jeunesse et la beauté du corps, à travers son actrice fétiche Mariko Okada, Yoshida filme cette fois-ci sa totale déchéance : les rides creuses le visage, les corps se courbent sous le poids des années, douleurs et escarres rythment le quotidien, on "s'oublie" en pissant dans son froc avant d'oublier qui on est lorsque la mémoire s'effiloche progressivement. Tout cela nous est montré sans fard ni tabou, mais avec suffisamment de pudeur et de distance pour éviter tout voyeurisme malsain. Si la vieillesse est un naufrage, celui-ci n'est pas seulement physique. Avec beaucoup de justesse, le cinéaste nous décrit la dérive d'un couple, avec un mari qui fait de son mieux pour s'occuper de son épouse, mais dont le touchant dévouement l'épuise chaque jour un peu plus et le pousse vers la sénilité. Malgré sa volonté de rester fidèle à une réalité crue, Yoshida n'hésite pas à avoir recours au symbolisme : si parfois celui-ci est un peu trop appuyé (avec les nombreuses allusions à l'eau et aux souillures du corps), il est également conduit avec finesse, comme lorsque le mari se met à creuser sa propre tombe ou lorsqu'il se retrouve face à une horloge sans aiguilles, allusion évidente aux Fraises sauvages de Bergman.


Le plus bouleversant, sans doute, dans cette vision du couple à la dérive, c'est que l'unique bouée qu'ils ont à porter de main est celle de l'amour qui les unis depuis tant d'années. Si le corps et la mémoire sont défaillants, les sentiments ne le sont pas et résistent aux nombreux assauts mortifères. Nos deux petits vieux sont les seuls à chanter, célébrant leur amour comme un ultime pied-de-nez fait à cette mort qui leur tend les bras. C'est cet amour qui les maintient encore en vie, qui pousse la grand-mère à se maquiller et le grand-père à porter son épouse tandis que les autres baissent les bras. Ils sont les derniers représentants de l'altruisme et de la bienveillance, ils sont les derniers à croire encore aux valeurs profondes de la famille.


Face à la mort, face à cet ultime instant de vérité, on ne peut mentir ou se cacher...ainsi, peu à peu les masques tombent, révélant la part sombre de l'Homme, celle qui abrite nos veuleries, nos peurs et nos angoisses... La société cache ses vieux qu'elle ne saurait voir dans des établissements publics, qui font ce qu'ils peuvent et qui entassent dans une même chambre les solitudes et les souffrances. Le petit-fils préfère ignorer cette déchéance et stigmatise l'inutilité de ces vieux. L'épuisement qui gagne le fils et son épouse vient à bout de leur bonne volonté, fait ressortir leur propre défaillance. Yoshida met cela en scène avec beaucoup de pertinence : en glissant des aînés vers le jeune couple, l'incommunicabilité de ces derniers devient assourdissante. En filmant l'hésitation du fils à la vue de la poitrine nue de sa mère, c'est son attitude d'homme volage qui explose à l'écran. L'image de la mort de l'autre nous renvoie à nous-mêmes, nous souffle le cinéaste, à nos propres failles et à notre propre déchéance. C'est ce qui fait de Promesse un film aussi fort que troublant, sans doute le plus bouleversant de Kijû Yoshida.

Créée

le 20 sept. 2021

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Procol Harum

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