Priscilla
6.1
Priscilla

Film de Sofia Coppola (2023)

« Priscilla » de Sofia Coppola, tel qu’il nous présente Priscilla Presley, aurait tout aussi bien pu s’appeler « Potiche ». D’emblée, la réalisatrice nous présente son héroïne en pleine séance de maquillage, donnant le ton : son film ne sera pas sans s’axer sur l’apparence, suivant une fille présentée au départ comme une vierge ingénue, puis devenant peu à peu, au fur-et-à-mesure de sa relation avec Elvis Presley, une épouse bredouille, nous laissant embrasser la vision d’un cocktail sirupeux mélangeant « Virgin Suicides » (1999) et « Marie-Antoinette » (2006). De là, on pourrait aisément voir la tentative d’un portrait facile survolant la vie d’une femme sous un regard allant au plus simple : lorsque Priscilla décolle pour la première fois afin de rejoindre Elvis à Memphis, deux plans suffisent à suggérer son départ, à savoir un billet d’avion, puis un ciel bleu immaculé ; pas même un avion, pas même le son d’un réacteur. On pourrait déjà en déduire une chose : « Priscilla » est un biopic aplani, manifestant cette idée par une absence quasi permanente de perspective, de profondeur de champs. En soi, l’idée pourrait s’avérer brillante, relatant sous le joug d’une normalité confuse l’étau dans lequel vit la jeune femme. Le résultat, quant à lui, va globalement pour le meilleur, conduisant le film à se cloisonner dans un récit tant surprenant qu’effacé.


Une séquence discrète pourrait d’ailleurs dévoiler les intentions de Sofia Coppola : Priscilla joue avec son chien à portée de vue des fans s’agglutinant derrière le portail de Graceland, ce dernier faisant office de frontière entre deux mondes. Arrive alors une parente du King, suggérant à la jeune femme qu’elle devrait s’occuper plus loin, au travers d’une réplique cinglante : « tu ferais bien de commencer à penser ». Plus le récit avance, plus il nous invite à observer Priscilla penser, elle qui tout du long de la première heure semble absente de sa propre vie. Elle fait semblant de croire qu’elle existe pour Elvis, se plie à ses désirs, tandis que Sofia Coppola nous immerge dans le regard distant qu’elle pose sur ce monde de fous, repliée qu’elle est dans un mode de vie dénué de toute possibilité d’émancipation plus que dans une prison dorée. À ce titre, piquante est la scène de la cérémonie de diplôme, où Priscilla, face à Elvis et ses amis, lance seule sa toque de fin d’étude : l’objet traverse pathétiquement les airs au fond d’une académique contre-plongée. On voit bien que « Priscilla » se tisse principalement sur les paradoxes se reliant dans la vie de son héroïne : femme cachée côtoyant la plus grande star du monde ; oscillant entre enfance et rock’n’roll ; s’emballant volontiers dans tous les paquets absurdes désirés par son mari (robes sophistiquées, coupe laquée de femme au foyer) pour ensuite devenir malgré elle une figure féministe en osant le quitter. Ainsi, le regard de Sofia Coppola frôle l’intime pour surfer sur une vague plus intéressée par une évocation sociologique relativement convenue : mais qui aurait voulu là un film agressif ? Coppola aurait pu filmer plus longuement les disputes, s’attarder sur l’aspect houleux de cette relation, sur les addictions, monter le thermomètre, montrer avec plus d’entrain l’énergie quasi sexuelle d’Elvis : nul doute qu’on l’aurait alors taxée de voyeuriste en pilote automatique.


C’est que le drame qui se joue ici avance sur la pointe de pieds, se voyant souvent déséquilibrer par la volonté de Sofia Coppola poussant « Priscilla » a employer un regard plus planant que distant, murissant davantage vers une allure plastifiée qu’il ne s’aventure dans l’intime, passant nécessairement par nombre de passages obligés tout en développant un découpage inattendu qui pousserait à l’insatisfaction tout spectateur s’attendant à retrouver ses idoles. La réalisatrice emploie là un regard militant pour l’aplanissement, où l’intérêt de sa mise en scène va davantage se trouver dans la fixité autoritaire entourant la jeune femme, dans ses gestes, dans son regard, dans ce qui circule autour d’elle, nous immergeant moins dans la prison que dans le désert de son existence. À cette idée répond une simple scène accentuant encore l’acuité de ce biopic a l’air de rien, la seule scène où l’on voit Priscilla partager seule un moment avec sa fille. Cette dernière veut descendre de la balançoire, mais plutôt que de la laisser remettre les pieds sur terre, sa mère la prend dans ses bras, comme si cet enfant était déjà condamné à vivre sa vie hors sol ; adressant au passage un malin écho au plan d’ouverture : une plongée sur les pieds de Priscilla foulant la moquette. On retrouve là le lâcher prise, l’intelligence édulcorée, l’évanescence stylistique qui faisait de « Virgin Suicides » le (seul) grand film de Sofia Coppola. « Priscilla », biopic brumeux bombardé de tubes des 80-90’s, s’octroie une douceur de façade tout en parvenant ingénieusement et généreusement à joindre cette dernière au tourbillon du chaos. Du blues, et du rock.

JoggingCapybara
7
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le 9 janv. 2024

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JoggingCapybara

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