Attention je spoile - moi, ma vie et l'univers en Un.

Quand je suis sortie de la salle, il m'a fallu un instant pour redescendre, pour réintégrer la réalité : non, ils ne sont pas arrivés, non, nous n'avons pas pris contact avec eux.
Je sais que ce film m'a touchée parce qu'il contient des éléments qui me parlent : la rencontre d'un autre radical, le langage comme pont, le temps, l'unité de la paix. Alors je sais que je ne peux pas porter sur lui un regard objectif.
*
L'idée de départ est absolument brillante : une langue conditionne à une façon de penser, et modèle le cerveau. Donc en intégrant la grammaire d'une langue radicalement différente, j'accède à une façon de penser radicalement différente. Ça, je le sais bien, et c'est ce qui explique ma passion pour les langues. Mais la nouveauté est merveilleuse : partant de ce principe, il advient qu'en intégrant une langue atemporelle, je conçois l'atemporalité. Donc je ne suis plus limitée par ma conception linéaire du temps.
Le Docteur (celui qui se balade dans une cabine téléphonique bleue) avait schématisé cela. Mais ici, je l'ai senti, comme à portée de mon esprit. J'ai eu la sensation qu'il ne me manquait qu'un effort intellectuel intense, un saut intuitif, pour accéder à cette perception du temps.
*
Des éléments du film m'ont fait tiquer. Elle parle du portugais ; elle est romaniste ? Ah non, elle a traduit du parsi, et connaît le sanscrit : c'est donc une indo-européaniste. Et elle parle mandarin ? Bon, soit, c'est possible. Mais j'ai l'impression qu'elle est spécialiste en tout, comme souvent dans un film.
L'histoire de la fille : j'ai craint qu'il s'agisse d'une construction assez conventionnelle de la faille du perso principal, pour montrer pourquoi elle va de l'avant (pas d'attache), pourquoi elle se noie dans le travail (pour oublier), pourquoi elle n'a pas reconstruit sa vie (trop douloureux)... Je m'attendais à râler là-dessus. Et puis non. L'histoire de la fille sert au propos général, il est lié à la découverte de l'atemporalité : elle se plonge effectivement à corps perdu dans cette traduction extrême, pour combler le vide d'un deuil qui ne se fait pas ; et elle, plus que quiconque, pouvait accéder à ce langage qui lui permet de vivre la naissance, la vie et la mort de la fille, effaçant de la mort cette caractéristique si terrienne de point final. La fille devient donc le début et la fin de cette quête, puisqu'elles se superposent temporellement, ce qui rend les flashbacks naturels.
De même, il est bien normal que le père A ne soit pas là, puisque le père B est là. Il y a concomitamment un avant-après, et un toujours-être, une fois que l'atemporalité a été mise en place.
*
J'aime que les humains soient obligés de se grouper pour avancer. Je viens à l'instant d'apprendre que les États-Unis viennent de dégager 35 diplomates russes ; c'est exactement le type d'alliance que j'avais besoin de voir : de l'entraide, de la confiance.
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Ce rythme, lent, m'apaise d'autant mieux que la première partie m'a semblé réaliste : c'est précisément comme ça que je rêve ce premier contact. On tâtonne, on organise à la hâte ; bien sûr, ça prend du temps. Même si c'était rapide, celui qui vit cette approche la trouvera lente : avant de découvrir l'Autre radical, même 2 secondes paraîtraient une éternité. Il est donc bien normal que ce couloir d'entrée dans le vaisseau soit interminable, lui qui préfigure tout à la fois la naissance, la mort, la renaissance. Et cette vitre, qui sépare humains et heptopodes : elle a la forme d'un écran de ciné, ce qui renforce encore l'immersion.
*
C'est un film qui parle de changement de mode de pensée, d'union, de curiosité. Je lui trouve des défauts, je le trouve beau. Je le trouve incomplet, et pourtant il a comblé en moi cette petite place qui existait déjà en moi pour lui. J'avais besoin de ce film.

pobbywatson
8
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le 29 déc. 2016

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