Avec le désavantage de ne rien connaître de la filmographie de Villeneuve, je m'avançais vers Premier contact comme pour une première approche. Avec envie, après tout on me l'avait chaudement recommandé, mais aussi avec crainte. Parce qu'on va pas se mentir, la SF de qualité ça court pas les salles, et ça commençait à faire un bout de temps que je n'avais rien à me mettre sous la dent. Pour un synopsis rapide, puisqu'on va spoiler abondamment par la suite, on a un premier contact avec une vie intelligente qui débarque sur terre dans douze vaisseaux, alors aux USA (tout bon film de SF se déroule aux USA voyons...) on recrute une linguiste et un scientifique pour comprendre un peu ce qui se joue ici.
Alors on va essayer de déployer, point par point (et j'en oublierais beaucoup), les raisons de mon immense contentement. Certains point se recouperons certainement alors disons que ça fera office de rappel.



  • D'abord prenons simplement le visuel, l'esthétique. Il paraît que ce cher Denis a une tendance à l'épuration. Soit, après tout en SF on voit bien souvent un dualisme assez pauvre entre une esthétique sobre, lisse, propre, un peu comme un pub Apple si vous voulez; ou alors on est sur la surenchère de détail, de mécanismes, de couleurs, d'un peu tout ce qui peut remplir un écran et vomir de l'information visuelle sur votre rétine (pour le meilleur et pour le pire). Quoi qu'il en soit le choix "Apple" semble plus que cohérent ici. Nous sommes sur une narration qui prend son temps, des concepts pas aussi abordables qu'on pourrait le penser (on y reviendra) et une primauté de l'échange. Ainsi nous ne sommes pas encombré par une débauche visuelle, et pouvons paisiblement nous imprégner du sens. Car un film qui charrie autant de sens dans ce domaine c'est pas commun. Les plans en extérieurs, autour du vaisseau principalement, sont frappant de réalisme. On dirait que toute l'équipe de tournage a attendu une journée bien banale pour tourner ces scènes! Mais le résultat est convainquant et permet un décalage subtil avec les scènes à l'intérieur du vaisseau. Et ce décalage est aussi le signe de l'incompréhension, puisque c'est ça le vrai obstacle dans un premier contact, la violence n'étant qu'une conséquence parmi d'autres. Et ce décalage (décidément ça va être le leitmotiv de cette critique...) se présente également dans plusieurs plans. Mais je parlerais uniquement de celui qui m'a le plus marqué, quand notre binôme et leur escorte pénètre dans l'engin extraterrestre pour la première fois. la gravité les attire contre les murs de ce couloir (rotation à 90 degré en gros). Et la caméra va suivre ce mouvement, ce changement de perception (de l'espace en l'occurrence). Nouvelle illustration de ce qui nous sépare de l'Autre .


  • On va maintenant plonger un peu plus dans le texte même du film, mais avant le scénario et tout ce qu'on peut en dire, passons d'abord par les protagonistes. Ici je vais seulement m'attarder sur 4 protagonistes (dont certains sont plus des entités). Commençons donc par notre duo de choc: Louise la linguiste et Ian le scientifique, respectivement joués par Amy Adams et Jeremy Renner. Pour ce qui est de la performance d'acteur en elle-même ça tombe juste, très juste pour Amy Adams. Louise aura donc pour objectif d'établir la communication entre les aliens et les humains (du moins le groupe d'humains dont elle fait partie). C'est bien évidemment elle qui a le rôle central ici puisque la quasi totalité de notre affaire repose sur la linguistique. Et c'est bête à dire, mais très peu de films de SF de type "première rencontre extraterrestre" ont bien traité cet aspect fondamental du contact qu'est la langue. Parce que bordel c'est quand même le premier biais d'échange. Et autant quand vous parlez à un anglais, un espagnol vous comprenez quelques mots même si vous êtes pas bilingue; mais si un asiatique vous parle dans sa langue vous risquez fort de ne rien pigé du tout. Alors imaginez le délire pour une autre espèce venu de quelque part très loin dans l'univers. Rien ne vous garantie que vos concepts aient du sens pour elle. Et là on touche à l'un des aspects les plus fondamentaux du film: comment se comprendre? Louise tiendra donc lui de charnière entre les deux espèces pour un dénouement autant agréable sur le plan narratif que tiré par les cheveux logiquement. Pour ne pas trop en dire sur le fond du film et garder ça pour la suite passons à Ian.
    Alors Ian le scientifique qui fait des blagues. Bon on ne se plaindra pas trop du côté sidekick qui est léger et pas trop lourd. En revanche ce qui m'a laissé étonné c'est sa fonction propre. On découvrira sur la fin qu'il a une place très importante dans l'intrigue mais sinon pourquoi il est là? Scientifique, c'est important quand on rencontre des extraterrestre quand même. Certes, mais à quel moment le mec fait un peu de science? D'astrophysique vu que c'est censé être son domaine je crois. Bah jamais. Et d'ailleurs on peut le comprendre vu que sur la fin on voit que c'est la notion même de temps qui est en jeu. Et si vous foutez la constante T à la poubelle bah il sera bien emmerdé lui. En bref, je comprend ce qu'il fait là en tant qu'homme dans la narration, mais en tant que scientifique on dirait qu'il fait l'assistant de Louise. Dommage.
    Bon mais ces deux là ils assistent les militaires qui eux cherchent à savoir "qu'est-ce qui se putain de passe?!" ou "Quelles sont leurs motivation?" pour faire plus sérieux. C'est assez amusant de voir que la structure militaire est présenté comme réagissant à ce premier contact comme elle aurait réagi à n'importe quel contact (par exemple les explorateurs avec le Nouveau monde). On a l'impression que les États réagissent comme si le paramètre "PUTAIN DE VIE INTELLIGENTE EXTRATERRESTRE" comptait pour peu au final. On est seulement face à un inconnu potentiellement hostile dont il faut déterminer les motivations. Bon ils ont au moins la décence de ne pas faire feu comme des bourrins dès que ça débarque. Et on peut être bien soulagé que le cadre SF ne soit pas un prétexte idiot à une gueguerre inter-espèce. On verra bien sûr que les militaires ne comprennent absolument pas les contraintes imposées aux scientifiques ni ne saisissent les vrais enjeux d'un tel contact. Faut pas déconner, le film est excellent alors on va pas en plus essayer de rendre l'institution militaire progressiste... Cependant, malgré l'obéissance de rigueur dans ce milieu, certains énervés vont finir par craquer et attaquer nos copains les aliens. Donc on voit que ces militaires sortent de leur fonction pour redevenir des humains lambda. Et justement parlons en du comportement de l'humanité.
    Peur, inquiétude, questionnements, voire panique. Autant de comportements concevables face à un tel événement. Mais, à l'image de ces quelques militaires qui déraillent, on voit à travers des flashs infos ou autres que l'humanité réagi de façon assez primaire. Inconnu=danger=agressivité. Et au fond c'est bien ce qu'on est face à ces nouveaux arrivants, des êtres primaires.
    Parce que nos chers amis venus d'ailleurs sont incroyablement plus évolués que nous. Soyons sérieux, s'ils ont les moyens de venir sur Terre ça montre déjà que, technologiquement parlant, ils sont bien plus loin que nous. La première pensée qui m'est venu à la vue de ces vaisseaux était de me dire que ses habitants étaient nécessairement d'une intelligence qui outrepasse complètement la notre. Et je ne m'y étais pas trompé. Leur technologie, mais aussi leur langage, et donc leur pensée, est incroyablement plus complexe que ce que l'on connait. D'ailleurs seul Ian capte vraiment à quel point c'est dingue quand on a le plan avec la gravité modifiée (dont j'ai parlé plus haut). Autre trace du fait que les types sont bien au dessus, c'est l'absence de réplique face à l'agression qu'ils subissent à un moment du film, ce qui ne semble pas relever d'une insensibilité mais plutôt d'une intelligence pour qui la mort est bien autre chose que pour nous. Quant à l'aspect physique des aliens, et bien j'ai poussé un grand soupir de soulagement quand on voit que ce n'est rien d'anthropomorphe. C'est pas grand chose mais quand même, ça fait plaisir.


  • Alors finalement on a un récit qui touche à l'Autre, au dialogue à établir avec lui malgré les difficultés diverses et, à travers la linguistique, on aborde un autre type de contact, celui que l'on a avec la réalité.
    Et c'est bien par la communication que l'on va surpasser la peur de l'inconnu. Le premier réflexe serait de taper, mais il faut parler. Et pourtant la réaction de l'humanité ne semble pas être favorable à un vrai dialogue (que seul Louise semble vouloir instaurer). Certains établissent un mode de communication qui se joue sur le terrain du conflit (apprendre à communiquer à travers un jeu où il y a un perdant et un gagnant c'est quand même pas malin), d'autres veulent purement et simplement que les aliens s'en aillent. L'homme passe son temps à regarder les étoiles en espérant y trouver quelque chose mais quand cette chose se présente (et qu'en plus elle est intelligente!) on montre les crocs. Louise va donc s'acharner à comprendre le langage écrit des immigrés de l'espace. D'ailleurs on peut noter que leur langage, sous forme de cercles dont le dessin varie et exprime non pas une idées mais une proposition entière, est particulièrement beau. Pour ma part j'ai été conquis par ce mode de communication que Villeneuve a décidé de prêter aux aliens. De plus, il me semble que leur langage est une représentation physique de leurs pensées, puisqu'ils font prendre forme à cette sorte d'encre. Donc si ils expriment quelque chose d'aussi complexe qu'une proposition complète en une pensée ça souligne encore leur supériorité cognitive. Quoi qu'il en soit Louise finira par arriver à parler leur langue (ce qui est d'ailleurs un poil abusé comme prouesse en seulement 18 mois mais bon on laisse passer). Et c'est là que le rapport au réel intervient. Le film évoque une théorie selon laquelle notre façon de parler affecte notre façon de concevoir le monde. Ce qui semble tout à fait censé. Un peuple qui a des dizaines de mots pour décrire la neige là où nous, français, on en a trois à tout péter, ça démontre assez bien que la langue pose un cadre de perception du réel. Pour parler comme Cassirer le langage est une mise en forme du monde par un don de sens (voir sa Philosophie des formes symboliques, ça vaut le coup). Mais c'est une mise en forme qui se fait au niveau conceptuel. Un peuple peut bien avoir cent mots pour dire la neige, il la verra avec autant de diversité mais les propriétés de la neige s'en trouveront-elles changées? C'est là où le film va plus loin que cette thèse. Puisqu'en comprenant leur langue Louise comprend leur conception du temps, et donc entretient un rapport différent avec celui-ci. Certes, on peut voir au sein de l'humanité des conception du temps différentes; mais encore une fois concevoir n'est pas transformer intrinsèquement l'objet conçu. Néanmoins l'on peut redonner sa force à l'idée du film, celle qui fait que Louise s'affranchi du caractère linéaire du temps, celui qui coule. On peut, pour cela, postuler que notre intelligence humaine est incapable de comprendre comment le temps peut se trouver modifier dans sa nature même, et que ce n'est possible qu'en passant par la langue de ces aliens. Car on a un aperçu de ce qu'est leur intelligence. Je parlais déjà plus haut du fait qu'ils arrivent à poser un proposition complexe en une pensée. Mais à un moment ils en alignent des milliers en une poignée de seconde. C'est simple, ces êtres arrivent à penser parallèlement. Et cette idée de superposition on la retrouve en physique quantique. Il nous semble impossible de penser plusieurs choses en même temps, de même qu'il nous paraît impossible qu'une particule soit dans plusieurs états en même temps. Bon ok l'analogie est douteuse si on pousse mais bon, ça me permet d'en faire une autre. En gros on peut imaginer que nos amis de l'espace sont comme des ordinateurs quantiques (qui n'ont pas encore vu le jour, mais sont le sujet de nombreuses recherches), ils pensent/calculent des centaines, voire des milliers, de propositions en même temps. A ce moment là, on peut accepter le côté "je fais joujou avec le temps", puisque actuellement nous n'avons aucune idée de ce qu'un telle niveau cognitif permettrait.
    Mais qu'y a-t-il d'étonnant à ce que nous ne comprenions pas le moins du monde ces nouveaux arrivants? Le film montre bien la difficulté que les nations ont à s'unir en tant qu'espèce face à une autre espèce potentiellement hostile. On peine à se comprendre entre nous, alors que dire pour ce qui dépasse quasiment l'entendement... C'est pour cela que le film porte sur l'autre, et cet autre ce n'est pas que les aliens. C'est un film qui parle de langage, donc de sens. Comment donner sens au monde, donc donner aussi sens à l'autre.



Finalement, ma première approche du cinéma de Villeneuve est un franc succès. L'esthétique m'a plus que convaincu, la narration est sans fioritures et prenante à souhait, l'attachement émotionnel est renforcé par tout un tas de procédés qui vont bien (je laisse aux experts le soin de détailler ça) et on a une vraie approche SF (comme je l'ai dit ça questionne le langage, l'autre, le réel, etc...). Donc oui franchement ravi à la sortie de la salle parce que j'attendais un film comme ça depuis longtemps, et les films qui me font tournés les méninges sur ce genre de thème, ça fait franchement plaisir. Merci Denis!

Simon_Findor_Ri
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le 28 déc. 2016

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Simon_Findor_Ri

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