Guide de communication en cas de premier contact

Depuis ma découverte en salle de Prisonners en 2013, j'attend avec une impatience non-dissimulée les nouvelles productions réalisées par Denis Villeneuve. Si Ennemy m'avait exténué car trop cryptique à mon goût (ça n'en est pas moins un très bon film à voir absolument), Sicario m'a complètement conquis. Ainsi quand j'entend qu'il va se lancer dans la réalisation d'un film ayant pour thème le premier contact Humains-Aliens et que comble de la chance, je me trouverai au Canada au moment de sa sortie, soit 1 mois avant la sortie française, mon empressement à voir le film ne fut que plus grand. Avec une meilleure organisation, j'aurais même pu le voir en avant-première au TIFF qui se déroule début septembre. Villeneuve qui s'attaque au premier contact, c'était quasiment la garantie de voir un traitement du sujet assez neuf. A mon sens, seul Contact de Robert Zemeckis et Rencontre du Troisième Type méritent d'être vus quand bien même ce premier est loin d'être parfait. On peut également placé District 9 de Neill Blomkamp à part car le premier contact n'est que secondaire. Et ne venez pas me dire que E.T. est un film sur le premier contact. Bref, à des années lumières des habituels récits d'invasion alien, Arrival s'annoncait prometteur.


Et contre toute attente, le film ne m'a pas déçu une seule seconde. Villeneuve est impressionant de flexibilité quand on le voit sauter d'un genre à autre dans sa filmographie sans que ça n'altère la qualité de son travail. Arrival s'inscrit dans un cadre ultra-réaliste et simule à merveille ce que serait un premier contact dans la réalité. Du jour au lendemain, 12 vaisseaux viennent se positionner à différents endroits du globe sans que cela ne semble correspondre à une quelconque logique. Les Aliens ne montrant aucun signe d'activité, leurs intentions restent mystérieuses. Entrer en contact avec eux semble inévitable le film va ainsi poser la question : comment diable allons-nous pouvoir communiquer avec eux ? Ont-ils une bouche ? Un langage perceptible par l'homme ? Leur "langue" peut-elle s'écrire ? Nous ne savons même pas s'ils ont un système de valeur semblable au notre, ainsi ce qui pourrait nous paraitre chaleureux et courtois pourrait être très mal reçu par les Aliens. Bref autant de questions qui à mon sens prouvent que le film ne tombe pas dans les habituelles facilités de scénario, le parti pris réaliste du film veut que l'on soit dans le flou le plus total avec un sentiment d'incompréhension face à ce qui se passe. Le récit va placer en son coeur les thèmes du "langage" et de la "communication" et le film va développer la théorie selon laquelle "le langage, lorsqu'il est suffisament assimilé, influence notre matière de pensée et de voir le monde", théorie avancée dès le début et qui apparait comme un fusil de Tchekhov un peu grossier.


Car oui, le langage est la clé du film dans la mesure où il s'avère que les Aliens sont venus nous apporter ce langage en guise de cadeau et que l'apprendre permet de voir dans l'avenir. Les Aliens sont venus sur notre planète en sachant à l'avance tout ce qui allait se dérouler et donc que tout allait bien se passer. Le cadeau est néanmoins intéressé car les Aliens auront besoin de l'humanité dans 3000 ans.


Comme tout récit science-fictionnel, il y a une dimension allégorique et un message portant sur notre espèce. Ici, le film tente de démontrer que les divisions qui déchirent le monde sont du à notre incapacité à communiquer entre nous et que la barrière du langage s'étant à notre perception de la situation. Un chinois ne va pas percevoir l'invasion alien de la même manière qu'un américain


et cela va résulter dans la rupture de toute communication entre les différents pays membres de l'ONU qui va isoler chaque camps. Et comme bien souvent, la peur de l'étranger va prendre le dessus et pousser certaines puissances à tenter une attaque sur les Aliens.


J'aime la façon dont les Aliens désignent le langage comme étant une arme alors que les humains percoivent cela plus comme un outil car oui, le langage est bien la première chose employée lors d'une situation de guerre, le langage crée de la violence et peut blesser. La manière dont le langage alien est dépeint est aussi terriblement intéressante :


point de lettres mais juste des cercles avec des variations dans leur forme désignant une idée.


Voici donc un film qui plaira furieusement à tous les adeptes de la linguistique.
Le film est porté par Amy Adams qui nous livre une prestation très solide, n'en déplaise à ses détracteurs, dans le rôle d'une professeur en linguistique aidant l'ONU à établir le contact avec les aliens. Le film s'ouvre d'ailleurs sur une séquence résumant son expérience de la maternité de la naissance de sa fille jusqu'à son décès en raison d'une maladie rare et incurable alors qu'elle ne semble pas avoir 15 ans (séquence supportée par la musique On the nature of the daylight de Max Richter, excellente composition déjà entendue dans Shutter Island). L'empathie pour le personnage est immédiat et pourtant, le personnage ne semble pas se souvenir de ses évènements, on imagine facilement une sorte de traumatisme résultant à un déni de la réalité. De plus, cela concorde avec l'impression qu'elle semble isolée et qu'elle est refermée sur elle-même.


Tout ça pour réaliser à la fin du film qu'il s'agissait en réalité du futur, d'une vision que Amy Adams va finir par accepter en dépit de son issue fatale. L'artifice est plutôt efficace car sans cette vision que l'on prend pour le passé d'Amy Adams, je pense que le personnage aurait paru assez plat et peu intéressant.


Et questionner la nature de ces visions rajoute également une intrigue supplémentaire plaisante. Amy Adams est-elle en train de devenir folle au contact des Aliens ? Serait-ce un passé refoulé ? Il s'avère donc que c'est son apprentissage du langage alien qui lui permet de voir l'avenir et qui finalement lui permet de sauver le monde en empêchant les chinois d'attaquer les Aliens.


En terme de réalisation, on apprécie l'économie d'effets visuels ce qui ancre d'autant plus le récit dans le réel. Les Aliens sont assez convaincants, avec un design rappellant l'univers Lovecraftien. La mise en scène est ainsi assez classique, sans fioriture


si ce n'est lors de la première séquence dans le vaisseau où la caméra filme les acteurs à l'envers pour suggérer qu'ils sont dans un monde inconnu ne répondant plus à la physique et à la logique terrienne.


La vitre séparant les aliens et les humains n'est en fin de compte qu'une matérialisation du fossée qui les sépare en terme de compréhension


et qui aboutit en fin de film par le passage d'Amy Adams de l'autre côté lorsqu'elle les comprends totalement.


Arrival est devenu le nouveau maitre étalon du film sur le Premier Contact de par la pertinence de son propos sur le langage et son ancrage dans le monde réel. Nous sommes scotchés à nos sièges grâce à l'attachement que l'on ressent pour le personnage de Amy Adams et aussi grâce au mystère entourant la présence des Aliens. Fort, très fort monsieur Villeneuve.

remimazenod
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016

Créée

le 13 nov. 2016

Critique lue 615 fois

5 j'aime

1 commentaire

Rémi Mazenod

Écrit par

Critique lue 615 fois

5
1

D'autres avis sur Premier Contact

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Premier Contact
Sergent_Pepper
8

Mission : indicible.

La science-fiction est avant tout affaire de promesse : c’est un élan vers l’ailleurs, vers l’au-delà de ce que les limites de notre connaissance actuelle nous impose. Lorsqu’un auteur s’empare du...

le 10 déc. 2016

192 j'aime

16

Premier Contact
trineor
5

Breaking news : t'es à court sur la drogue bleue de Lucy ? Apprends l'heptapode !

Bon, bon, bon. Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ...

le 7 déc. 2016

153 j'aime

61

Du même critique

Mamma Mia! Here We Go Again
remimazenod
7

Le Parrain 2 de Mamma Mia... sur le papier

Qu'on se le dise bien, un visionnage de Mamma Mia, 1 ou 2, peut s'apparenter autant à un rêve éveillé pour les fans de Abba qu'à un cauchemar rose bonbon pour les réfractaires. Le juste milieu...

le 25 juil. 2018

15 j'aime

1

Le Manoir
remimazenod
2

Où est l'histoire ?

La bande annonce laissait présager le pire, le résultat final ne surprend finalement guère. Peu de choses à dire sur ce film si ce n'est qu'il ne lui manque vraiment que l'essentiel : une histoire...

le 22 juin 2017

14 j'aime

3

Le Caire confidentiel
remimazenod
7

L'arrière-plan d'abord

Auréolé de son grand prix attribué au Festival du film indépendant de Sundance, Le Caire Confidentiel arrive donc dans les salles françaises avec de solides promesses. D'une part grâce à ce prix,...

le 5 juil. 2017

13 j'aime