Il y a bien une qualité qu'on doit reconnaître à Schwarzenegger : sa sagacité. Là où son principal concurrent Stallone s'est longtemps borné à ne travailler qu'avec des tâcherons en guise de réalisateurs, bien plus dociles et malléables pour mettre en valeur sa seule personne (Rambo 2 et 3, Cobra, Haute sécurité, Over the top en témoignent), l'ami Schwarzy lui, savait s'entourer des meilleurs artisans en matière de cinéma d'action et de science-fiction et eut à coeur de privilégier la qualité de ses films à la seule satisfaction de son ego. En témoigne parmi tant d'autres films de sa filmo, le cultissime Predator, projet de SF guerrière chapeauté par le nabab Joel Silver dont la réalisation fut confiée à John McTiernan. Si ce dernier est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands formalistes hollywoodiens des 80's et 90's (voir comment au moins quatre de ses films ont bouleversé l'art du filmage à Hollywood), il n'était qu'un inconnu en 87 et Predator n'était alors que son second long-métrage en tant que réalisateur après un Nomads plutôt prometteur (dans lequel il mettait déjà en scène l'indicible). Un pur film de commande donc, pour un jeune cinéaste qui avait encore tout à prouver en terre hollywoodienne. Le résultat ? Une commande certes mais au final une oeuvre d'auteur car tout à fait cohérente au sein d'une filmographie privilégiant les notions de territoires, d'indicibles menaces et de renouvellement des archétypes héroïques et antagonistes. Soit ce que l'on retrouvait déjà dans ce film dual et hybride qu'est Predator, qui mettait à mal une icone 80's du cinéma d'action face à une créature extra-terrestre si impressionnante qu'elle reste encore trente ans après son apparition sur les écrans une des plus emblématiques du cinéma de SF hollywoodien et de la culture populaire. Predator n'aurait d'ailleurs certainement pas tant marqué le public sans l'aspect atypique de sa créature vedette. A l'origine confié au maquilleur Steve Johnson (lequel échoua à livrer un travail suffisamment convaincant), le prédateur éponyme sera finalement imaginé et conçu par Stan Winston, lequel, sur les conseils d'un certain James Cameron (qui lui devait sa monstrueuse Reine d'Aliens, sorti l'année précédente), affublera sa créature d'éléments physiques suffisamment originaux (les fameux dreadlocks, les mandibules cernant son faciès) pour marquer la mémoire du public d'alors jusqu'à celui d'aujourd'hui.


Mais revenons-en au pitch du film. Predator met en scène un commando d'élite de l'armée américaine commandé par le major Dutch Schaeffer, envoyé dans la jungle guatémaltèque afin de secourir un ministre américain tombé entre les mains de révolutionnaires. Appuyé par un consultant militaire de la CIA, le commando attaque bientôt un campement rebelle mais n'y découvre aucun prisonnier. Persuadés d'avoir été dupés par leur hiérarchie quant aux véritables raisons de cette mission, Dutch et ses hommes prennent alors conscience de la présence d'une entité les suivant à la trace et les observant dans la jungle. Bientôt celle-ci tue l'un d'entre eux avant d'être pris en chasse par le commando. Mais les militaires ont beau avoir l'avantage du nombre, ce sont pourtant eux qui deviendront les proies...


Partant d'un postulat maintes fois exploité (les bisseries 80's de Chuck Norris en témoignent), le script des frangins Hughes (retravaillé par Shane Black, également présent au casting) se détourne progressivement de l'actioner standard pour emprunter une mécanique de survival plus originale qu'elle n'y parait. Il faut imaginer le public de l'époque, alors déjà habitué à voir le colosse autrichien incarner d'authentiques action heroes auxquels rien ne résiste, le voir mis à mal par une créature inédite. En acceptant le rôle de Dutch Schaeffer, Schwarzenegger se doutait bien qu'il s'apprêtait à détourner les attentes de son premier public en devenant non plus le prédateur mais la proie. En ce sens, le film joue clairement de l'image de son acteur vedette, le mettant à la tête d'un escadron de gros bras, alors incarnés par des personnalités plus ou moins connues (son pote Jesse Ventura, Carl "Apollo Creed" Weathers et le géant Bill Duke), brillants chacun dans leur interprétation d'archétypes militaires bad-ass et sans peurs avant de devenir les proies et victimes d'un monstre solitaire les surpassant en tout point. Une créature qui reste pourtant passive durant l'essentiel de l'exposition, Mc Tiernan ayant comme bon nombre de ses prédécesseurs (Spielberg pour Jaws, Scott pour Alien), l'idée de suggérer le plus longtemps possible la présence du monstre, la silhouette quasiment invisible de celle-ci se fondant dans les branchages de la forêt qui environne les protagonistes. Tout comme dans les deux premiers Alien (dont Predator détourne intelligemment plusieurs idées dont le commando de durs à cuire est une des moindres), le décor lui-même devient ici une menace à lui-seul, le monstre s'y fondant parfaitement pour y attendre ses proies. Il ne manifeste sa présence surnaturelle que par le biais de victimes suspendues par les pieds à des hauteurs improbables puis à travers une vision thermographique censée témoigner non seulement d'une avance technologique considérable (ce type de vision en infra-rouge était alors une nouveauté dans l'armement militaire de l'époque) mais aussi de son statut de simple observateur, curieux, méthodique et patient. Portant avec lui l'aspect SF du film, ses apparitions seront par la suite fragmentées par la mise en scène de McTiernan, lequel après avoir privilégié une première partie en forme de mission de secours militaire, mettra un point d'honneur à charger l'atmosphère de son film d'une angoisse pesante, étouffante, renforcée par le score tribal d'Alan Silvestri et annonçant le véritable coeur de l'intrigue.


Car il s'agira bel et bien ici de reléguer l'homme à un simple gibier, pris en chasse par une espèce alien à priori supérieure, venue sur Terre pour s'y livrer à un safari et qui tuera un à un chacun des protagonistes. Rappelons que ceux-ci sont quand même des soldats surentraînés, des cousins à Rambo tous droits sortis d'une quelconque série Z de l'époque. Le genre de gros bras à cracher des molards gros comme le poing et à coteriser eux-mêmes leurs plaies avec le canon encore fumant de leur AK-47. Face à ce débordement classique de testotérone, les premières manifestations de la créature sont soudaines et spectaculaires, ses proies (et le spectateur) ayant à peine le temps d'en disserner la silhouette massive et quasiment invisible (pauvre Shane...). Une scène parmi tant d'autres jouera pleinement de ce concept de parfait camouflage en prenant à revers les attentes des personnages ainsi que du spectateur. On y voit Dutch jouer les appâts et marcher au devant de ses hommes, scrutant les environs à la recherche de la créature. Jusqu'à ce que Mac Tiernan révèle subitement la présence de celle-ci dans le même cadre que son héros, par le biais d'une forme se débattant rageusement dans un filet (piège au préalable installé par les soldats) qui ne la retiendra pas longtemps. Dès lors le jeu de massacre ira crescendo, alignant les séquences marquantes (la mort de Mac et de Dillon, le sacrifice de Billy) jusqu'à dépouiller l'intrigue de tous ses personnages secondaires pour privilégier un antagonisme exclusivement centré sur Dutch et son poursuivant. Une confrontation inoubliable qui achève de placer l'homme au rang de proie toute désignée. Seul et livré à lui-même, Dutch passe du soldat à l'homme préhistorique, luttant coûte que coûte pour sa survie avec les moyens les plus rudimentaires. Face à lui, le monstre accepte le jeu guerrier du fond des âges, répondant au hurlement primal et se débarassant de son attirail sophistiqué de chasseur alien pour affronter le lion à mains nues. Le pugilat, brutal et mémorable, révélera la bestialité de l'un et de l'autre, jusqu'à un climax apocalyptique inversant in fine les rapports de force mais sans appeller la moindre résolution. Et le vainqueur de contempler silencieusement le théâtre des événements en songeant certainement aux congénères du prédateur ainsi qu'à leur prochaine partie de chasse.


Sorti un an après le Aliens de Cameron, Predator fit un carton en salles et conquit rapidement son statut de film culte avant de devenir une franchise à priori lucrative mais dont les producteurs n'arriveront jamais vraiment à exploiter tout le potentiel à l'écran. Deux suites, une de très bonne facture (Predator 2) et une plus oubliable (Predators), et deux cross-overs largement dispensables ne parviendront pas vraiment à rendre justice au chef d'oeuvre de McTiernan. Ni le réalisateur, ni Schwarzenegger n'y reviendront, et le chasseur extra-terrestre d'alimenter en victimes depuis trente ans les jeux vidéos (les AvP) et les pages de plusieurs comics dérivés, se prenant notamment les crocs avec l'Alien, Judge Dredd ou encore Batman. A l'heure où le xenomorphe de Scott est revenu sur le devant de la scène, nombre de spectateurs nostalgiques attendent aujourd'hui le retour à l'écran du célèbre prédateur, cette fois magnifié par un Shane Black désormais derrière la caméra. Ne reste plus qu'à espérer que ce dernier offre au monstre une aussi belle proie que le fut autrefois le colosse autrichien.

Buddy_Noone
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le 14 déc. 2017

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Buddy_Noone

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