Je suis très étonné, non pas par la dimension bizarroïde attendue (un homme se trouve transformé en poulet suite à un tour de magie vraisemblablement raté), mais plutôt par la dimension absolument pas comique de "Plumes", à l'encontre de tout ce que pouvait laisser suggérer l'affiche ou le synopsis. On est même en plein dans une tragédie sociale assez hardos, qui s'astreint à la description de deux choses : d'abord, les conditions de vie difficiles dans une banlieue pauvre égyptienne, et ensuite les conditions de vie propres à la femme, c'est-à-dire une couche supplémentaire de difficultés dans la société patriarcale montrée ici.


Ce n'est pas un film facile, à de nombreux égards. Pour me perdre dans un dédale de références justifiées mais excessives, je dirais que Omar El Zohairy manie les plans fixes à la Akerman en y injectant un symbolisme à la Bresson, dans un cocktail esthétique et moral qui se situe entre Elia Suleiman et Roy Andersson, dans une version beaucoup moins gentillette. Tout le film avance en plans fixes, coupant allègrement les corps pour ne laisser apparaître que des torses, et beaucoup de mains, des mains qui échangent des objets, qui comptent les billets, qui prennent des produits alimentaires. C'est un cinéma très brut, bien au-delà du fait qu'il ne s'agisse que de comédien non-professionnels. Encore une fois, le sursaut dramatique de la fin qui prend le pas sur le grotesque presque comique des débuts m'est resté en travers de la gorge. De même, l'immolation initiale m'apparaît comme injustifiée, ou du moins pas assez contextualisée. Le retour du père mort-vivant, aussi.


Le discours est assez limpide dans sa volonté de transformer une femme du statut de mère passive et soumise, elle qui baissait tout le temps la tête, à celui d'une femme active et forte. Elle est contrainte d'assumer le rôle de cheffe du foyer en subvenant intégralement aux besoins de la famille après la disparition du mari. Très vite, l'absurdité de la situation (la transformation en poulet) laisse place à une chronique de la misère des classes populaires en Égypte (police, administration, usine, amis). La chronique de l'émancipation se fait au prix d'une noirceur qui ne me dérange pas dans son réalisme, mais dont l'austérité me paraît un peu trop artificielle.

Créée

le 22 mai 2023

Critique lue 91 fois

Morrinson

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