Play-Boy Party
6.3
Play-Boy Party

Film de Dino Risi (1965)

Risi a toujours eu une fascination pour la saison estivale. De sa propre confession, cette période placée sous le signe d'Eros, constitue une parenthèse où le soleil et le temps libre se mêlent. Les personnages ne sont pas soumis aux contingences professionnelles et sont ainsi pleinement tournés vers la satisfaction de leur plaisir personnel.


Le désamour à la plage


Il a filmé admirablement ce théâtre dans le Fanfaron, son plus grand film, brièvement dans les Monstres (le sketch de la plage), dans Il giovedi (Walter Chiari emène son fils au bord de la mer, moins pour le farniente que pour retrouver la sublime Michèle Mercier dans un maillot une pièce), dans Vacances avec un gangster où des gamins font évader de prison un gangster en passant par ... une plage, c'est le lieux parfait pour les roucoulades du vieux beau De Sicca dans Pain amour et ainsi soit-il à Sorrentino... Dans la plupart de ses films on trouve cette fuite au bord de l'eau. Le maillot de bain étant un signe de vulnérabilité et de sincérité absolue, en plus d'être un artifice de comédie.


Avec l'Ombrellone aka play-boy party, titre absolument infect diamétralement opposé à l'essence même de ce que Risi a voulu transmettre dans cette comédie. "Le parasol" étant bien plus fidèle à ce que ressent l'ingénieur Marletti (Enrico Maria Salerno) : Il recherche de l'ombre, celle de la chambre pour faire l'amour à sa femme ou pour dormir après une nuit blanche farcie d'alcool et de brouhaha. Et la ribambelle de personnages qui gravite autour de son couple n'a qu'une idée en tête : tirer les stores, tuer cette intimité, et jouir un maximum en bande.


C'est la première fois dans le cinéma de Risi que la plage est appréhendée comme un enfer blond surpeuplé, où les corps nus et couverts de coups de soleil, grouillent et se bâfrent (l'enfant des voisins passe son temps à engouffrer des eskimos). Une certaine idée de l'horreur que ce tourisme de masse dont nous sommes aussi familiers avec les plages bétonnée de la côte d'azur.


L'intimité y est interdite, le fronton "Solitude" à l'entrée de la plage est là pour nous le rappeler ironiquement. Risi martèle ce sentiment d'oppression en surchargeant le cadre. Rome est déserte, les routes sont vides, car tout le monde est à Riccione. Les plages sont noires de monde, ça bronze sur les toits, ça roule à 6 sur un vélo, la masse de gens partout, tout le temps.


Et pourtant, les vacanciers font l'effort de sociabiliser jusqu'à plus soif, un projet voué à l'échec dans cet agglutinement constant. L'ingénieur débarque dans ce tableau improbable, avec le look de Mr Hulot. Il monte retrouver sa femme pour faire des galipettes, mais elle se dérobe sans cesse à lui. Le voilà obligé de faire bonne figure à la plage, de sympathiser avec "la bande" constituée de médecins, professeurs, architectes, que des messieurs respectables qui perdent pourtant de leur superbe dans leurs tenues de plagistes. Aussi lourds et bruyants que les plus modestes de leurs employés. En un sens la plage contribue à instituer l'égalité entre les italiens... et les allemandes qui ont une grande présence dans les cœurs.


L'ingénieur essaye de prendre ses marques au milieu des rires forcés, incessants et hystériques, des cancans et des blagueurs olympiques. La bourgeoisie, les titres pompeux sont encore plus ridicules quand ils sont assenés par des messieurs ventripotents, huileux ou écarlates, où dans des slips de bain chamarrés et moulants (qui est donc ce fameux personnage que salue Marletti à plusieurs occasions sans parvenir à le reconnaitre, il a ce sous pull jaune cocu à manches longues...


mais oui c'est le fameux sous secrétaire d'état !).


Eux mêmes conscients que l'Italie ne sait pas où elle va. Au cours d'une soirée sur un bateau, ceux qui constituent l'élite de la nation confessent leur impuissance entre deux coupes de champagne.


Les vacances de Mr Vaffanculo


Les autres, plus modestes et qui travaillent sont jeunes et beaux. Sauf ceux qui travaillent à l'hôtel et qui sont littéralement des enfants. Les parents s'amusent. L'inévitable Jean Sorel et la blonde sculpturale au clin d’œil facile vendent leur corps comme d'autres vendent des espadrilles. Ce sont des saisonniers au service de ces bourgeois installés et pathétiques venus relâcher la pression deux précieuses semaines dans l'année. Marletti est d'ailleurs suspecté d'être communiste parce qu'il s'émeut du fait qu'on ne puisse pas se reposer après avoir subi une crise cardiaque... Il semble normal à son interlocuteur de perdre son travail si on ne repart pas à boulot en serrant les dents.


Marletti s'assombrit au fil du film, il jette même des regards lubriques à une jeune anglaise très en dessous de l'âge légal. Et pour cause, sa femme s'est, en son absence, entichée d'un antiquaire féru de poésie. Las de cette mise à distance, L'ingénieur se dit qu'il serait plus tolérant avec les couilles vides, et entreprend de s'isoler sur une plage avec une blonde réputée sociable. Elle l'emmène en pédalo - et même les flots sont bondés de nageurs et de pédalos - vers ce coin tranquille,uniquement pour rendre jaloux son homme. Avec cette scène Risi montre la fausse libération du maillot de bain, car même les plus délurées sont jalouses à mourir et peu versées vers l'amour "moderne" (comme le dira l'ingénieur à l'instant où il réalise que l'esprit de sa femme est tourné vers un autre homme).


Il ouvre la porte à la série des Bronzés, qui a repris l'esprit du film. La plage est un défouloir, on y parade, on cherche à assouvir ses pulsions sexuelles pas toujours glorieuses, à tisser des liens relationnels qui prennent la forme d'une serviette de plage : des rencontres superficielles sans lendemain, facilitées par l'alcool et au final incertaines.


Malgré quelque temps faibles et l'absence au générique d'un des 4 colonels de la comédie italienne (Tognazzi ou Manfredi auraient été fantastiques dans ce rôle), L'Ombrellone est un pas de côté de Risi, un regard différent vers l'un de ses mythes. Il se moque des bourgeois noyés dans le tourisme de masse et adresse par ailleurs quelques clins d’œil au spectateur avec deux références au Fanfaron : en recyclant le gag de la veuve en maillot de bain noir qu'il flanque cette fois d'une nuée d'enfants (pour rester dans l'esprit du film), et en achevant le récit avec une annonce radio faisant état du nombre croissant de morts sur l'autoroute des vacances. Plus de monde en maillot et plus de morts... Un vision bien plus amère que le Dimanche d'août de Luciano Emmer, sur le même thème du romain à la mer.

Negreanu
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le 2 févr. 2021

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