"Commencez à croire aux histoires de fantômes, mademoiselle Turner, vous en vivez une !"

A la poursuite de son second Barbossa (Geoffrey Rush) qui lui a volé son navire, le Black Pearl, le fameux pirate Jack Sparrow (Johnny Depp) fait escale à Port-Royal où il fait la connaissance de William Turner (Orlando Bloom), jeune forgeron qui n’a d’yeux que pour la belle Elizabeth Swann (Keira Knightley), fille du gouverneur de l’île (Jonathan Pryce). Mais celle-ci est promise contre son gré au commodore Norrington (Jack Davenport), officier zélé qui jette Jack Sparrow en prison pour le faire pendre en tant que pirate. C’est le moment que choisissent les pirates de Barbossa pour débarquer et piller la ville, à la recherche du doublon d’or qui leur permettra de reconstituer le trésor maudit qu’ils ont volé, afin de faire cesser la malédiction qui les transforme en morts-vivants au contact des rayons de la lune…


A une époque où le cinéma hollywoodien a banni de ses canons toute forme de prise de risques – ou presque –, il fait toujours bon de se replonger dans ces films fondateurs qui surent oser le risque et néanmoins conquérir un public. Sans nul doute, Pirates des Caraïbes figure à la tête de ceux-ci. Adapté d’une célèbre attraction des parcs Disneyland, le film représentait un défi de taille : pas de trame narrative déjà dessinée, la résurrection d’un genre ancien tombé en désuétude, la présence d’un réalisateur jusque-là presque inconnu… Et pourtant, les studios Disney, peut-être poussés par leur collaboration avec Bruckheimer Films, surent croire en l’ambition démesurée dont leur projet était le fruit, et la porter jusqu’au bout sans jamais la revoir à la baisse.


De cette confiance naquit très logiquement un chef-d’œuvre. Car ce qui animait Gore Verbinski, c’est ce qui fait aujourd’hui défaut à un trop grand nombre de réalisateurs : une vision. Verbinski possède cette vision qui fait les grands réalisateurs, et cela s’en ressent dans son film. Dans la grande lignée des Michael Curtiz, Ridley Scott, Steven Spielberg et autres grands noms du cinéma d’aventures, Gore Verbinski se révèle un formidable conteur autant qu’un immense faiseur d’images.
S’aidant des scénaristes Ted Elliott et Terry Rossio, parmi les meilleurs de leur génération comme ils l’ont montré notamment avec leur excellent Masque de Zorro, Verbinski nous offre un récit magistralement écrit, qui a toutes les caractéristiques du scénario parfait :
- des personnages ayant un contexte personnel fort qui se développe tout au long de l’œuvre, ayant des motivations profondes que l’on identifie et comprend parfaitement, chaque personnage possédant une motivation très différente de celle des autres
- des relations subtiles entre les personnages, évoluant de manière crédible
- des péripéties qui ne laissent qu’intelligemment la place aux coïncidences, et sont par ailleurs toujours directement issues des actions et des choix de chaque personnage, donnant d’autant plus de poids aux conséquences de ceux-ci
- une exploitation totale des décors et de l’environnement des personnages, conférant au récit un dynamisme et une cohérence d’ensemble en tous points remarquable.


Si le scénario s’avère aussi solide, c’est bien évidemment qu’il peut s’appuyer sur un faisceau de talents incroyablement mis en valeur. Le casting réuni par Ronna Kress est en effet un sans-faute impressionnant, du grandiose et cabotin Johnny Depp, dont le rôle marqua en lettres d’or l’histoire du cinéma, à la mutine Keira Knightley, excellente en femme forte de caractère mais émotionnellement fragile, sans oublier l’impétueux Orlando Bloom, le fantasque Geoffrey Rush, ou le touchant Jonathan Pryce.
Ce qui impressionne, c’est le degré de nuance de chacun de ces acteurs, dont aucun ne bascule jamais dans la caricature permanente : ainsi, le ridicule gouverneur Swann devient émouvant lorsqu’il révèle sous ses dehors de vieillard ahuri un père soucieux du bien de sa fille, le sévère commodore Norrington se montre profondément humain lorsqu’il constate avec déchirement que le cœur de sa bien-aimée est déjà pris, et ainsi pour tous les personnages jusqu’à Jack Sparrow, d’un grotesque confinant au sublime lorsqu’il opère en un tour de main le grand écart entre le clown ingénieux que l’on connaît et le commandant impitoyable mais dévoué à son équipage et professionnel de la mer.


Si Pirates des Caraïbes touche aussi juste sa cible, c’est d’ailleurs sans doute bien parce que ses scénaristes adoptent presque une méthode d’historien vis-à-vis de leur sujet. Que l'on ne s'attende évidemment pas à retrouver une exactitude historique irréprochable en regardant ce qui est avant tout une comédie d’action, mais force est de constater qu’Elliott et Rossio ont travaillé leur sujet, et surtout qu’ils ont parfaitement réussi à se plonger – et nous plonger à leur suite – dans la mentalité des hommes de mer.
Ainsi, le film de Verbinski se montre extrêmement sérieux dans sa description du fonctionnement d’un navire au XVIIIe siècle, tant dans les rapports humains, qu’il s’agisse des soldats britanniques ou des pirates (la rude dévotion que portent à Jack Sparrow les hommes de son équipage), que dans le maniement des navires et des outils maritimes.
Fort d’une reconstitution historique somme toute minutieuse, Pirates des Caraïbes témoigne d’un souci du détail absolument hallucinant, fruit du décorateur Brian Morris dont il convient de célébrer ici non seulement le talent, mais bien le génie. En effet, le décor est un personnage à part entière du film, tant il dicte ses contraintes dans des scènes d’action complexes aux chorégraphies millimétrées, toujours parfaitement captées par la caméra de Dariusz Wolski, un des plus grands directeur de la photographie que le cinéma ait connu.


Encore magnifié par un montage réfléchi en tous points et une partition à la puissance rare et aux thèmes mémorables de Klaus Badelt, Pirates des Caraïbes hisse ainsi le divertissement hollywoodien au rang d’art total.
Rarement blockbuster n’aura été aussi grand que le film de Verbinski, et c’est tout naturellement que le public et les critiques lui consacrèrent une place de choix au panthéon des plus grands films de l’histoire du cinéma. Car s’il est un film qu’il faut absolument retenir du cinéma de ce début de XXIe siècle, tous genres et toutes nationalités confondues, c’est clairement lui.

Tonto
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le 12 mars 2016

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Tonto

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