New York, 1969. Alors que le professeur Henry Jones (Harrison Ford) essaye de goûter des joies d’une retraite bien méritée, sa filleule (Phoebe Waller-Bridge) ressurgit dans sa vie. Cette dernière recherche un antique artefact déjà traqué à l’époque par son père (Toby Jones) et par les nazis. Cette machine d’anticythère créée par Archimède pourrait donner à son possesseur un pouvoir inédit sur le temps. Face aux troupes du sinistre docteur Voller (Mads Mikkelsen), Indiana Jones va reprendre son fouet pour une ultime aventure qui pourrait bien bouleverser l’ordre cosmique…

Cette aventure pourrait bien bouleverser l’ordre de l’univers, mais elle ne le fait pas, et c’est bien là toute la particularité de ce cinquième volet d’Indiana Jones, qui révèle la véritable note d’intention du film, à cent lieues de ce que prétendaient ses détracteurs. Indiana Jones et le cadran de la destinée ne cherche pas à être LE monument de l’année, ni même une date mémorable dans l’histoire du septième art. Non, il ne cherche rien de plus qu’à être une nouvelle aventure dans l’univers d’Indiana Jones, une nouvelle aventure qui ne vaille ni plus ni moins que les précédentes, à ceci près que celle-ci doit jouer en outre le rôle de conclusion.

Dès lors, le film de James Mangold assure-t-il bien sa mission ? Il serait difficile de prétendre le contraire. James Mangold a toujours été un réalisateur sage, qui savait jouer avec les limites sans jamais les franchir. Il le prouve ici une fois de plus, en évitant soigneusement de tomber dans tous les pièges où on l’attendait. Sans en révéler trop, on se contentera de démonter ici deux des rumeurs les plus tenaces dans l’esprit des gens :

- Non, Helena n’est pas l’héroïne du scénario. Elle reste de la première à la dernière minute du film un personnage secondaire, qui sert souvent, et dessert parfois, les intérêts du héros. A aucun moment, il n’est question qu’elle prenne la relève de son illustre parrain, et certainement pas dans la conclusion du film, où elle s’efface discrètement, avec une belle pudeur.

- Non, Indiana Jones ne remonte pas le temps pour revivre ses propres aventures. A aucun moment du film, le héros ne croise une autre version de lui-même. A aucun moment, il ne vient modifier quelque élément du passé que ce soit susceptible d’avoir un impact sur ses autres aventures.

A l’image de ces deux écueils brillamment évités, l’ensemble du film réussit à naviguer avec fermeté pour tracer son propre chemin sans jamais s’égarer en route. Chaque fois qu’il nous semble que le récit va faire un pas de travers, il remet le pied exactement là où il faut, réussissant à créer la surprise, mais jamais la déception.


Entre hommage et nouvelle voie, le scénario parvient à mener un récit original, qu’on n’a pas l’impression d’avoir déjà vu mille fois, quoiqu’il emprunte évidemment les bases de son récit à des archétypes bien connus du genre. Mais il parvient à s’en écarter suffisamment pour imaginer des péripéties variées, parfois surprenantes, dont on n’avait pas encore l’équivalent dans la saga Indiana Jones (notamment à une séquence de plongée trop courte, mais très réussie, et d'autres scènes dont on ne parlera pas).

Ainsi, toutes les scènes d’action témoignent d’une orchestration savamment organisée par un réalisateur qu’on sent en pleine possession de ses moyens. On en veut pour preuve peut-être les deux séquences d’action les plus marquantes du film : la scène du train nazi au début, et la poursuite en tuk-tuk à Tanger. Ces deux séquences exploitent à merveille l’espace et le décor, retrouvant le génie des meilleures scènes de la saga.


Peut-être le film se montre-t-il inférieur à ses prédécesseurs sur la qualité des effets spéciaux. Déjà, le 4e épisode souffrait de quelques images de synthèse voyantes, mais se tenait encore bien. C’est toujours le cas ici, et si on ne saigne jamais des larmes de sang, on peut regretter que certains fonds numériques ou quelques effets de de-aging se voient malgré tout. On ne peut que féliciter la qualité du de-aging à l’œuvre ici, mais il y a fort à parier que même avec les meilleurs efforts du monde, il soit difficile de camoufler ce qui reste un artifice certes habile, mais par essence inférieur aux effets spéciaux mécaniques (quand ceux-ci sont bien faits).

Malgré tout, cet aspect numérique se fait suffisamment oublier grâce à la qualité sans failles de la mise en scène de James Mangold. S’appuyant sur les images de son fidèle directeur de la photographie Phedon Papamichael, il insuffle à son film une esthétique proche des canons spielbergiens, tout en trouvant sa propre identité. Hommage sans être une copie ou un plagiat, cet Indiana Jones tire donc son épingle du jeu de la plus belle des manières. Esthétiquement, le film se distingue sans peine de ses contemporains pour nous offrir une qualité d’images qui se fait malheureusement rare dans ce genre de blockbuster. Et même si l’on acceptera sans peine de reconnaître qu’il manque la patte Spielberg pour parachever le tout, on ne peut que louer le travail impressionnant de Mangold et de ses équipes.


Bénéficiant de scènes d’action musclées reprenant totalement l’ADN de la saga, Indiana Jones et le cadran de la destinée s’avère donc un épisode à part entière de la saga, sans aucune relation d’infériorité avec ses prédécesseurs. On en veut pour preuve la bande-originale de John Williams qui, si elle contient moins de thèmes marquants qu’auparavant, retrouve toutes les harmonies bondissantes qui sont une des marques les plus indélébiles de la saga. Mais la réussite la plus totale du film réside probablement au niveau des personnages : encore une fois à cheval entre renouvellement et tradition, ce cinquième volet reprend les rênes avec une rigueur qui fait plaisir à voir.

Harrison Ford se réinvestit entièrement dans son rôle mythique d’aventurier roublard, et le voir au début (encore une fois torse nu !) jouer le vieux grincheux qui va râler chez ses voisins ne le désacralise en rien, tant l’acteur prouve une nouvelle fois qu’il n’a rien perdu de sa superbe. En revanche, le voilà en plein décalage avec son époque, une époque qui le rejette pour la première fois, préférant s’intéresser aux hommes qui ont mis le pied sur la lune (superbe plan sur cet échange de regard mythique entre le héros de l’ancien monde et les héros du nouveaux monde). C’est probablement le sens de cette scène, certes introduite de manière artificielle mais non moins brillante, où l’on voit le héros à cheval au milieu des rues de New York, et jusque dans le métro. Cow-boy égaré à l’ère des astronautes, Indiana Jones a fait son temps. Et pourtant…


Là où le film se révèle donc étonnamment bon, c’est dans l’écriture des nouveaux personnages. On redoutait, comme beaucoup de monde, la présence d’Helena, qu’on imaginait déjà en féministe moderne, menant une croisade contre le patriarcat toxique des vieux fossiles à la Indiana Jones. Loin de là, Helena est effectivement une femme indépendante d’esprit, mais qui ne cherche jamais à occuper la première place du récit. Restant dans son rôle de personnage secondaire, elle nous offre un savoureux duo avec son parrain, dans une relation parfaitement équilibrée entre des piques amusantes et des échanges plus profonds et intimes, qui rend les deux aussi touchants l’un que l’autre.

Idem pour Teddy, qu’on imaginait déjà comme le sidekick lourdingue, marque désormais inévitable qu’on est face à une production Disney. On peut davantage y voir un écho lointain à Demi-Lune, adolescent débrouillard qui ne se contente pas de faire tapisseries, mais joue un vrai rôle dans le récit. A cette image, tous les personnages inventés ici jouent leur rôle dans l’avancée du récit, et ont le mérite d’exister dans au moins une scène qui leur est consacrée. Mention spéciale, bien évidemment, au génial Mads Mikkelsen, qui occupe à merveille son rôle de méchant extrêmement "jonesien" dans l'âme.


La réussite du film n’empêche malheureusement pas quelques petits ratés, et on les trouvera notamment dans la gestion du rythme. Alors que ce dernier est soutenu et ne souffre d’aucun temps morts, on découvre lors d’une dernière demi-heure vite expédiée qu’on aurait volontiers accepté 20 ou 30 minutes supplémentaires. Même si cette séquence finale est plus clivante que les autres, et fera probablement couler pas mal d’encre, elle aurait méritée d’être développée sur un temps plus long afin qu’on en goûte le sel. Ici, la bataille dans laquelle elle s’insère n’est pas assez montrée, et les nouveaux personnages qu’elle introduit sont trop rapidement ébauchés, menant à un dilemme final dont on peine à ressentir l’intensité.

C’est en revanche le seul reproche qu’on fera à ce dernier acte, sa légitimité apparaissant évidente, et prenant très logiquement sa place dans la continuité du récit.


Que conclure, alors, sur ce cinquième volet d’une des meilleures sagas d’aventure du grand écran ? Indiana Jones et le cadran de la destinée est bel et bien une réussite, qui montre que le cinéma le plus traditionnel a de beaux héritiers aujourd’hui. En cela, il rassure et suscite une nostalgie tout-à-fait saine, car bien plus tournée vers l’avenir que vers le passé. Ressuscitant et réinventant pour la mythologie d’Indiana Jones, James Mangold réussit le tour de force de se glisser dans les pas de Spielberg et d’en sortir très progressivement en tenant bien fort la main de son spectateur pour être sûr de ne pas le perdre.

Et le miracle arrive : alors qu’on craignait de rester sur le bord de la route, la magie survient, elle se diffuse et nous emporte au gré d’aventures dont on aimerait garder le parfum à tout jamais. Indiana Jones et le cadran de la destinée rend hommage, il reprend, il renouvelle, il introduit. Mais surtout, il conclut, et se termine sur une scène d’une simplicité si étonnante et si touchante qu’on ne peut guère plus se faire d’illusions : cette fois, oui, Indiana Jones est bien parti. Et c’est tout ce qu’on pouvait lui souhaiter.

Car dans cet adieu se trouve non le regret d’une époque impossible à ressusciter, mais la ferme conviction, pleine d’espoir que, oui, l’héritage du passé se trouve entre de bonnes mains. Et qu’il y aura toujours des Spielberg et des Mangold pour faire rêver les générations à venir, avec de nouvelles histoires.

Tonto
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le 2 juil. 2023

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1

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