On ne sait pas trop ce qu’il en est, à la fin. Et même pendant le film, on ne sait pas non plus. On reste déconcerté, un peu hagard. On sent bien qu’Olivier Assayas et sa nouvelle muse, Kristen Stewart (après Godrèche, après Ledoyen, après Cheung et Binoche), osent des choses ici, s’aventurent et se risquent à plusieurs genres. Du fantastique, de l’intime, du thriller, du suspens aussi (en plus de vouloir parler d’art, de pratiques occultes, de mode, de numérique…), et parvenant à combiner tout cela avec une certaine allure, un aplomb décidé. Parfois c’est convaincant (les SMS menaçants, scrutation du milieu du luxe et du fric…), parfois c’est raté (un ectoplasme qu’on dirait échappé d’Harry Potter, le faux feuilleton sur les séances de spiritisme de Victor Hugo…), mais ça reste toujours captivant, étrangement.


À travers cette histoire d’une jeune fille en deuil, médium à ses heures et assistante garde-robe d’une star imbuvable, qui cherche à entrer en contact avec son frère récemment décédé, Assayas tente d’approcher deux mondes, de les fusionner peut-être, celui hyper-matériel, le nôtre, avec trajets en Eurostar et bijoux Cartier, et celui avec arcanes et fantômes, indicible tout autour de nous (et qu’avait symbolisé Hilma af Klint dans ses tableaux, pionnière de l’art abstrait et figure secrètement inspiratrice du film). Entre les deux, Stewart balance, fait le lien. Avec son teint pâle, son regard noir et sa silhouette fragile, elle ressemble elle aussi à un spectre, une apparition qui n’appartiendrait pas (plus) à notre réalité, et enveloppée constamment dans la lumière funèbre de Yorick Le Saux.


Pourtant Assayas la filme avec merveille, avec dévoration, la matérialisant au contraire à chaque plan, lui donnant plus que chair dans son corps, dans son visage, dans ses moindres gestes, et jusqu’à cette séance d’essayage où il l’érotise, la fétichise comme jamais, la renvoyant à son image d’icône absolue (Twilight et Chanel sont passés par là), soudain sublimée dans sa plus simple simplicité (nue). Stewart possède le film en entier, et cristallise en elle la peur qui le sous-tend. Peur du manque, du manque de l’autre (un frère disparu ou un copain à l’autre bout du monde), et peur de l’autre, celui mystérieux, invisible, correspondant anonyme ou esprit frappeur. Cet autre qui est une absence et une présence à la fois tentant de se (re)connecter aux vivants (par iPhone ou manifestations surnaturelles), et qui inspire Assayas, obsédé (par Stewart) et gauche (par tout ce qu’il veut dire et signifier), dans cette œuvre définitivement insaisissable.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 2016

Créée

le 14 déc. 2016

Critique lue 4.4K fois

38 j'aime

2 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 4.4K fois

38
2

D'autres avis sur Personal Shopper

Personal Shopper
mymp
7

L'esprit shopping

On ne sait pas trop ce qu’il en est, à la fin. Et même pendant le film, on ne sait pas non plus. On reste déconcerté, un peu hagard. On sent bien qu’Olivier Assayas et sa nouvelle muse, Kristen...

Par

le 14 déc. 2016

38 j'aime

2

Personal Shopper
Frédéric_Perrinot
8

Esprit es-tu là ?

Alors qu’il offrait à Juliette Binoche le premier rôle de son dernier film, Sils Maria, et qu’il arrivait à la magnifier tel qu’elle ne l’avait pas été depuis longtemps au cinéma, quelqu’un d’autre...

le 14 déc. 2016

29 j'aime

Personal Shopper
Irénée_B__Markovic
6

Déconcertant

J’aime beaucoup Olivier Assayas. Son film et sa mini-série autour du terroriste Carlos m’ont beaucoup impressionné. A cela s’ajoute le fait qu’il s’agisse d’un grand cinéphile qui aime écrire sur le...

le 31 oct. 2016

26 j'aime

4

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

164 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25