Qu'il s'agisse de comparer Pauvres Créatures à un nouveau Barbie boosté à la comédie noire ou à une version revisitée de Frankenstein au féminin - le rapprochement est possible dans les deux cas - le film de Yórgos Lánthimos est surtout une odyssée à la créativité gigantesque où l'expérimentation du bien, de l'horreur et de la tristesse n'a jamais été aussi essentielle afin de connaître le monde. Pourtant il est clair que dès sa séquence d'ouverture, Pauvres Créatures sait qu'il a toutes les cartes en main pour troubler le spectateur en l'amenant immédiatement à jouer avec les frontières du réel où il est impossible d'en explorer et d'en comprendre toute la bizarrerie : que ce soit au travers d'animaux hybrides, d'un carrosse mécanique, d'un Londres aux allures de l'ère victorienne ou encore d'un Lisbonne rétro-futuriste... le spectateur se perd un petit peu plus à chaque seconde dans un parfait mélange d'expressionnisme et de surréalisme.
Mais au-delà de la tenue visuelle de l'ensemble, cette exploration/expérimentation du monde permet surtout d'enclencher toutes les problématiques existentielle de sa protagoniste ; en passant de l'innocence (par une protection paternelle malsaine) à l'affrontement de la réalité, en passant du fish-eye intrusif et oppressant aux plans larges, en passant du noir et blanc aux couleurs chatoyantes, Pauvres Créatures parle de passage de barrières plus ou moins symboliques, de pénétration dans des espaces interdits illustrés par l'émerveillement et le malaise d'images qui positionnent dans des endroits à la beauté étrange.
En prenant principalement appui sur le regard de sa protagoniste, Lánthimos fait bouger le spectateur à travers cette dernière afin de ressentir ses plaisirs, ses peurs, ses paniques et pose la question de savoir "comment vivre en repartant de la venue au monde ?". D'une manière - parfois trop - ostentatoire, Pauvres Créatures s'avère donc être la transformation littérale d'un corps et d'un esprit libérés des conventions sociales. Un parcours punk passant de la poupée aux mouvements instables (avec la dimension de comique de situation que cela englobe) au charme d'une femme en pleine possession de son identité, laissant alors apparaître un comique bien plus mordant et moins absurde. Ce qui, malgré son cynisme, n'empêche pas Lánthimos d'y insuffler un humanisme certes naïf mais plutôt attachant afin de séparer, rassembler des personnages et créer plus généralement des rapports de force entre eux ; les personnages sont leur propre metteur en scène, des manipulateurs qui contrôlent leur personnalité afin de mieux contrôler le monde qui les entoure.