Dans les États-Unis rigides des années 1950, l’actrice et réalisatrice Ida Lupino risque un film audacieux, « Outrage » (1950), son troisième long-métrage : l’expressive Mala Powers y incarne une jeune fiancée enjouée, Ann Walton, promise à Jim Owens (Robert Clarke). Mais l’atteinte d’un viol bouleverse son existence et la projette dans une fuite éperdue : fuite des regards dans lesquels elle ne se perçoit plus que comme victime, fuite de l’évènement, fuite d’elle-même... Heureusement pour la sensible héroïne, sa route n’est pas condamnée à ne croiser que des agresseurs. Elle pourra aussi rencontrer de bons anges, et notamment un, le pasteur Bruce Ferguson, chaleureusement campé par le trop rare Tod Andrews.
Audacieuse, cette réalisation l’est à plus d’un titre. Sur le plan psychologique, Ida Lupino, également co-scénariste, avec son deuxième mari Collier Young et avec Marvin Wald, ose exposer l’étendue des ravages causés par une telle agression, puisque ceux-ci se déploient, en une chaîne infernale et tristement logique, jusqu’à l’ultime scène ; une chaîne affectant aussi bien les réactions psychologiques que les événements qui en découlent. En ceci, et en des temps où le viol motivait une plainte moins entendue que de nos jours (malgré, ici, la réaction finalement efficace de la Police, mais suite à un braquage...), la réalisatrice hollywoodienne se positionne à l’opposé de notre contemporaine, Eva Trobisch, dans « Comme si de rien n’était » (2019) ; même si, au bout du compte, les implicites, portant sur l’étendue des dégâts réels, se rejoignent. Mais l’œuvre antérieure, moins alambiquée et plus ferme dans sa démonstration, a du moins les mérites de la cohérence et de la clarté, ce qui ne lui interdira pas, sans doute de façon logique, comme après un abcès vidé, plus d’optimisme dans sa chute...
Audace également, bien que plus discrète, dans la peinture sociétale : si la mère (Lilian Hamilton), à l’annonce du mariage de sa fille, se réjouit, le père (interprétation sensible par Raymond Bond), enseignant de Mathématiques, déplore que sa fille, douée et exerçant pour l’heure le métier de comptable, renonce à une vie professionnelle plus valorisante pour s’enfermer dans le statut, domestique et domestiqué, d’épouse... De même, le pasteur fait preuve d’une large ouverture d’esprit et d’une belle capacité de compréhension, même si, en une superbe dénégation, il se défend de tout lien avec la psychanalyse...
Audace scénaristique, enfin, puisque les attentes successives du spectateur sont souvent déjouées, et plutôt habilement, fût-ce au prix d’une certaine frustration qui voit finalement réhabilitée la figure d’un fiancé que l’on avait un peu trop facilement déboulonné.
Si l’on regrette la musique trop présente, trop illustrative, trop hollywoodienne, du prolifique Paul Sawtell - mais c’est sans doute un défaut attaché à l’année et au lieu de production du film... -, on ne saura manquer d’admirer la très belle image, en un noir et blanc à la fois fortement et subtilement contrasté, de Archie Stout. Et d’apprécier le traitement si frontal et si vigoureux d’un phénomène qui fait encore parler de lui, malgré son archaïsme et son sexisme prononcé.