Jean-Paul Meurisse revient dénoncer les travers de notre société, et une direction plus radicale que son délire créatif qu'a été Apnee. Tout un melting-pot de situations exacerbées et un panel de personnages pour un portrait dévastateur, si peu humaniste et un effet loupe grossissante de notre si belle société française. On pense aux nouveaux sauvages et à tous ces affreux qui agissent en toute légitimité et revient en mémoire la réponse implacable d'une victime qui se réveille, lors du sketch cendrillon pour une scène ici, qui semble-t-il aura fait s'indigner les spectateurs, car on ne touche pas au sexe d'un homme même en rigolant...Faut pas pousser. Un humour grinçant et pas vraiment correct, qui rappelle aussi à c'est arrivé près de chez vous ou plus récemment à Barbaque. On remercie donc la troupe de Meurisse et tous les acteurs qui s'y joignent.


Toujours est-il que cette liberté de ton, et ce risque à froisser les âmes sensibles n'est pourtant pas si méchant et sa direction légèrement provocatrice se dote bien souvent de légèreté.
Alors on pourra ne pas aimer la direction gore que prend l'intrigue sur sa seconde partie sapant l'acidité du propos sociétal, et le final à vouloir nous rassurer de la solidarité pour celles se faisant justice soi-même avec la bénédiction de ses représentants, pour un soupçon de science-fiction, mais Meurisse tient sa ligne, sans défaut de rythme où tout est affaire de mouvements, de physiques choisis et de regards, aux décors et au choix musical épousant parfaitement les scènes filmées et s'amuse il est certain de notre capacité à en rire ou pas.


Des dialogues toujours imparables pour trois histoires de vie compliquées, qui vont parfois se télescoper. On remarque alors le clown à la ville, Fred Blin, qui marque de sa présence son court passage, nourrissant délicatement à la baguette chinoise son cochon domestique, au sourire de circonstance, et au domicile tout autant inquiétant qu'il l'est, totalement détraqué mais à l'esprit éclairé qui récoltera les fruits de sa cruauté.


Une satyre tragi-comique alliant la légèreté et l'indicible, l'humour et le drame. De son cinéma -sans que le théâtre cette fois-ci ne soit totalement de la partie- les échanges sont incisifs et plein d'humour. Sans grand suspense, alors que la narration, d'une parfaite fluidité, étonne pourtant à nous souffler le chaud et le froid. Tout ceci dans une joyeuse cacophonie de flux de paroles croisés, de cris, de retour de manivelle pour notre représentant d'Etat, (Christophe Paou d'une grande crédibilité qui trouvera un miroir nettement moins jouissif que dans l'Inconnu du Lac) qui choisit ses priorités en fonction de ses abus, de parents endettés et en décalage de leur époque (Lorella Cravotta et Olivier Saladin) qui fantasment leur première place à un concours rock par des chorégraphies d'un autre temps et pas franchement dynamiques, d'un fils qui n'hésitera pas à les dénigrer, eux qui ont eu la chance de vivre la révolution sexuelle en baisant toute la journée alors que les enfants (excellent Alexandre Steiger qui aura bien du mal à jouer de sa virilité dans une des premières scènes des plus jubilatoires) héritent d'une société de travail et de frustration. Mais c'est aussi le suicide positif que l'on choisit lorsque l'on n'a plus rien que l'endettement, avec une scène plus que parlante des banquiers, prêts à escroquer toute la famille pour le bien de leurs actionnaires, ou encore Blanche Gardin, en gynécologue (toujours malmenée par ses intestins), qui rejoindra Karine Viard dans l'Origine du monde à parler du Vagin avec tout le naturel qui s'impose, aidant ainsi une jeune fille à prendre conscience de son corps.


Si les jeunes acteurs (Lilith Grasmug) sont bien moins à l'aise que leurs aînés, mention à Denis Podalydès, en homme de loi et de soutien, dépassé par les événements, presque invisible et répondant parfaitement à son rôle d'homosexuel qui s'ignore. On se régale de n'avoir aucun rôle titre, et dès l'introduction avec Guilaine Londez à la crise de nerfs inattendue et crescendo, on est pris par cette scène d'un jury hors contrôle et qui résume à elle seule l'incommunicabilité par nos réactions subjectives et nos a priori en jouant des effets rebonds totalement hors propos où tout est discuté sauf le sujet (un léger mais bel hommage au procès de Vivian Ansalem).

limma
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le 2 avr. 2022

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limma

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