Peut-être que les théâtreux ont moins tendance à s'autocensurer que les gens de la filière cinéma pur jus ? Parce que c'est pas la même visibilité médiatique, parce que les circuits de financements sont différents ? J'ai vu au théâtre ces dernières années des trucs assez carton et j'avais rarement vu l'équivalent au cinoche. Exception faite, peut-être, de certains films argentins. Touchés par la main de dieu sans doute, comme l'a été, pour le théâtre, Rodrigo Garcia il y a une vingtaine d'années, quand il avait la dalle. Toujours est-il que Jean-Christophe Meurisse, qui vient du théâtre où il sévit depuis quelques années avec sa troupe "Les chiens de Navarre" a fait fort pour son entrée (ou presque) dans les salles obscures.
Voilà un film décapant tout autant qu'intelligent. Qui nous brosse, à travers deux ou trois histoires, qui vont se croiser, bien sur, un tableau quasi exhaustif de l'état dans lequel se trouve la France contemporaine. Voyez plutôt : retraités paupérisés, politiciens véreux qui se goinfrent, journalistes serviles et lèche-culs, jeunesse qui faute d'avenir bamboche à qui mieux mieux, agressions sexuelles, concours musicaux à la con avec jurys perchés, justice qui fricote avec le pouvoir. Et violence, violence à tous les étages, violence dans toutes les catégories sociales. Portrait pertinent d'une société violente, qu'il s'agisse de violence physique, morale, psychologique, sociale ou sexuelle.
Alors bien entendu, ça devient rapidement assez gore. Quoique certaines des scènes dans ce registre soient finalement, quand on y pense, plutôt jubilatoires (l'allusion au 49.3, par exemple). Car au-delà de cette violence, c'est dans l'ensemble très drôle. Les dialogues sont souvent excellents et certaines scènes (dont la première) sont de vraies réussites. On rit de voir exprimées sans fard certaines choses que le politiquement correct interdit d'exprimer. Et ça fait du bien.
Enfin, ne nous y trompons pas, Oranges sanguines est avant tout un grand film politique. Pour ceux qui en douteraient, la référence à Gramsci qui apparait en milieu de film devrait lever toute équivoque. Film politique qui, sur un mode humoristique et percutant, dresse le tableau effrayant d'une société en totale décomposition, menée tout droit vers les abimes par l'inconséquence et la vacuité de ses élites. Oui, le vieux monde se meurt et c'est pas beau à voir. A défaut de mieux, on peut toujours en rire, profitons en pendant qu'il en est encore temps.