Blanche Gardin en gynécologue envieuse, explique à une adolescente déconcertée, entre deux remontées de gratin dauphinois du midi, comment s’y prendre lors de son premier rapport sexuel, à base d’une série de métaphores fleuries. Cinq minutes de blagues lourdingues et éculées s’ensuivent alors. Aucune n’y échappe ; la référence aux fruits de mer, au morceau de viande maltraité, ou encore aux gastéropodes.


Orangine sanguine se voudrait être un conte moderne cruel. Il n’est ni méchant - comme nous avertissent les affiches - ni impertinent, ni même drôle, mais tout simplement mal écrit, mal filmé et tout bonnement raté.


La séquence d’introduction nous laisse présager un film peu finaud sur une critique du politiquement correct. Plantés autour d’une table dans un gymnase, six juges décident des candidats retenus pour l’étape suivante d’un concours régional de danse rock (et pas rock, attention). Le cas d’une participante à l’hypothétique handicap met le feu au poudre. S’y opposent alors deux de nos juges dans une série d’échanges prévisibles, débutant sur de brèves réflexions gentiment réactionnaires et misérabilistes pour nous conduire crescendo à une tirade hystérique baignant dans l’inspiration porn, répondant à une litanie sur la dictature des quotas.


Après tout pourquoi pas. Le ressassement médiatique et culturel d’actualité sur les « nouveaux avatars de la bienpensance » devait bien amener à ce que de tels films se profilent tôt ou tard. Passé le générique, il n’en est plus question. Le courage tant loué de la danseuse boiteuse, Jean-Christophe Meurisse en manque terriblement ici. Tout y est faiblard, inabouti, et inintéressant, qu’il s’agisse de l’amorce comique sur l’absurdité de la discrimination positive autour d’un couple de vieux - « séniors » pardon - ou de la satyre du cynisme de la chasse aux économies (et donc aux pauvres), de la corruption des élites, et du storytelling crasse en politique. Sur des thématiques similaires, et bien que peu réussi et fin lui aussi, Effacer l’historique du duo Delépine et Kervern - où l’on retrouvait déjà Blanche Gardin et Denis Podalydès décidément - proposait déjà quelque chose de plus consistant en la matière. Rien n’est poussé ici, rien n’est réellement exploité. Nous rechignons à avaler ces quartiers d'agrume non pas pour leur acidité, mais pour leur absence de goût.


C’est sans voir l’ironie que Meurisse fait dire au personnage de directeur de cabinet homosexuel refoulé campé par Podalydès, que la clef de la confiance en soi est d’être à la limite de l'indécence, du scandale. Ce film a une haute opinion de lui-même, et se pense effectivement plus provocateur qu’il ne l’est réellement. S’autoriser ceci aurait supposé - en plus d’oser concrètement creuser ces thématiques - une cohérence narrative, un sens au scénario qui est terriblement décousu aussi bien formellement que structurellement.


Pourquoi emprunter le mode du film choral, alors que les trois quarts du métrage passe pour un film à sketch sans sketch drôles ? Les Nouveaux Sauvages avaient su par exemple adopter un humour plus acerbe - diversement réussi en fonction des segments il est vrai - tout en offrant le zeste nécessaire de commentaire critique et politique. On comprend donc que les divers protagonistes sont effectivement reliés les uns aux autres comme les codes du genre l’exigent, généralement dans un climax plus ou moins bien amené. Ici, rien ne s'imbrique avec fluidité, et deux scènes de viol totalement gratuites servent ici de raccrochage scénaristique pour permettre la mise en connexion entre les personnages et avec le fait divers que Meurisse a voulu transposer à l'écran. Mais dans quel but au final ? Humoristique ? Critique ? Une démonstration de la cruauté insensée de l’être humain et de la vie ?


Arrêtons nous plus longuement sur ces deux scènes de viol, car le recours gras et inutile à la représentation de celui-ci comme ressort scénaristique m’interroge, et ici me dérange. La seconde partie du film s’ouvre sur une célèbre citation d’Antonio Gramsci et notre ministre de l’économie qui crève en rase campagne. De ce vieux monde qui se meurt, des monstres surgissent, comme ce jovial dégénéré vivant avec son sanglier domestique, et à la porte duquel Monsieur Lemarchand a le malheur de venir frapper. La lutte des classes par le viol ? Une vengeance au nom du père déclassé, petit rouage détruit par un système inhumain ? Haha, non, on vous a bien eu, vous pensez bien, rien ne le justifie. Ce ministre - Ministre de quoi déjà ? Ah oui de l’Economie et des Finances - sera simplement le réceptacle des déviances d’un arriéré de la France profonde, qui après l’avoir violé au cri de « 49.3 ! », l’attachera à la grille de l’Assemblée Nationale. Meurisse met en scène la méconnaissance par le violeur au cochon de la fonction réelle, des prérogatives du Ministre - au point donc de le jeter devant l’Assemblée plutôt que son ministère par exemple - car cela importe peu ici, on voit qu’il a «un rapport sensuel à l’argent», il catalyse une violence gratuite et guillerette qui se suffit à elle-même, recouverte d’un léger vernis politique. Que cherche ici Meurisse ? Représenter l’exutoire poussif et cathartique d’un odieux puissant se faisant enculer par le peuple ? Ou bien un exemple cruel de la haine désordonnée, stupide, bouillante et dans l’attente d’être évacuée que des citoyens ont pour leurs représentants, et avant tout les symboles qu’ils représentent ? Les deux ou aucun peut-être. Loin de moi le fait d’avoir un problème avec la représentation de sévices ou de récit de descente aux enfers de personnages puissants, d’un inversement des dynamiques de pouvoir, mais ici que reste t-il, à part tirer deux-trois rires gras dans la salle sur ce qui est avant tout une scène de viol tournée en humour scatologique ?


Notre deuxième séquence de viol nous arrive quelques scènes plus tard, où le dégénéré au sanglier kidnappe l’adolescente revenant d’une soirée (et de son premier rapport sexuel). A nouveau, une tentative d’humour noir, qu’il s’agisse de la préparation des crêpes ou de la dégustation des « quartiers d’oranges sanguines », lorsque le film prend des accents de rape and revenge tarantinesque. Mais une nouvelle fois, à quoi bon ? Le Ministre et l’Adolescente ont donc été violés par la même personne, et sont défendus par le même cabinet d’avocats, dont l’un des membres est le fils du couple de vieux danseurs. Bien, et ? Représenter l’absurdité et la cruauté de la vie, en elle-même sans explication, gratuitement aurait pu être pertinent et délicieusement acide, mais dans ce cas pourquoi privilégier un mode de narration et des thématiques qui laissent entendre - et attendre - un propos, une cohérence globale qui n’existe pas ? Quelque chose a dû m’échapper. Une réflexion sur ce que signifie être une victime dans notre société ? Se sent-on en empathie avec le Ministre qui au final « l’a bien cherché » ? Et avec l’adolescente qui assume la part de barbarie de sa vengeance ? Avec l’avocat qui a défendu les mêmes agents d’un système qui a au final conduit à la perte de ses parents ? Qui est bourreau, qui est victime ici ? Tout le monde et personne à la fois apparemment, puisque nous sommes pris dans les intrications indémêlables d’un système qui nous conduit à «se faire justice soi-même par tous les moyens possibles ».


Le film décroche malgré tout quelques rires («Elle a le droit de danser le rock la mongolienne !», la scène de débriefing au ministère, la parodie de l’émission Une ambition intime [les trois sont dans la bande d’annonce, c’est déjà révélateur.]) et présente plusieurs séquences relativement réussies, qui pour la plupart concernent le couple (le suicide, l’intervention des pompiers). Avec Oranges Sanguines, c’est l’amertume qui reste en bouche, celle de s’être fait avoir avec un film prétendument impertinent, qui nous balade pendant 1h42 de scènes en scènes, sans rythme, enjeux ou tensions. A éviter.

Hyde
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le 18 nov. 2021

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