Tête, fournaise où s'allume l'esprit

Julius Robert Oppenheimer, figure mythique des États-Unis pour avoir donné vie à un projet funeste, reprend forme à travers le long-métrage de Christopher Nolan. Sa vie y est dépeinte minutieusement sous les traits du talentueux Cillian Murphy qui livre une prestation saisissante et tourmentée, l'histoire s'immisce ainsi dans le parcours de la physique théorique, des enseignements à sa mise en pratique, au travers du microcosme environnant de ses relations quelles soient intimes, amicales, professionnelles, politiques ou hostiles.


Christopher Nolan est passionné de son sujet et cela se voit, il propose un film riche et diversifié dans ses thèmes, jonglant du récit historique à la psychologie du protagoniste. Il use également d'une réalisation qui évolue selon les situations et les moments du film, prenante esthétiquement entre un noir et blanc travaillé et de la couleur. Nous avons également le droit à un casting aux petits oignons, des plus impressionnants je citerai particulièrement Cillian Murphy, Emily Blunt et Robert Downey Jr., avec une pléiade d'acteurs surprise au fil du récit qui s'y ajoute. La musique de Ludwig Göransson est une actrice de premier plan comme souvent dans les films de Nolan, avec une utilisation effectivement très fréquente et prégnante mais qui réussit à épouser l'image avec intérêt lors de thèmes adaptés et variés.


Il s'agit donc d'un film imposant par sa longueur, son sujet et son propos, gourmand en dialogues et illustrant admirablement les questionnements et les obstacles d'un homme devenu presque Dieu et presque rien, capable de destruction inéluctable au-delà du temps. Et sans tarder, je lance le décompte concernant la divulgation plus en détail du film,

5... 4... 3.. 2.. 1......

Aux confins des atomes

Des images s'apposent subrepticement, des frictions de matière, des ondes indescriptibles, la fission au bout de l'esprit, une marque de désagrément pour Oppenheimer qui subit ces visions à répétition. Par l'analogie d'une sorte de Terrence Malick, Christopher Nolan découpe dans une première partie l'essence brève des images : un déplacement, une parole, une émotion, des atomes. Tout est décomposé mais cela donne pourtant la même illusion physique de l'unification solide et infranchissable des atomes. Tandis que la musique participe à la contemplation, les images éclatantes apparaissent : des bribes d'étincelles qui surgissent de la tête, véritable fournaise où l'esprit s'allume, reprenant les mots de Victor Hugo.


Une des scènes les plus efficaces demeure sûrement le moment de prise de parole à la suite de l'utilisation de la bombe, cette fois-ci sur une véritable cible, des humains. L'esprit d'Oppenheimer se disloque entre les cris et les applaudissements, le silence d'une explosion, la disparition des corps par une lumière éblouissante, la détérioration de la peau. Nolan dévoile avec brio une véritable vision horrifique à ce moment précis, plongé dans la psychologie du personnage.



L'amour atomique

Les atomes produisent des réactions, les théories scientifiques en font partie mais une chose encore plus mystérieuse s'opère en parallèle, celle des pensées humaines. Oppenheimer rencontre Jean Tatlock, proche du parti communiste, et développe une romance sincère mais difficile, créant des disputes vers une séparation apparente. Interprété magnifiquement par Florence Pugh, le personnage livre des scènes mémorables aussi bien de querelles amoureuses que de nudité érotique : "Je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes qui anéantit toutes choses". À la suite de la recontre avec Katherine, il reverra une seule fois Jean et la disparition qui s'en suit sera terrible pour Robert qui éprouvait encore des sentiments. Katherine Oppenheimer, jouée par Emily Blunt, n'incarne pas une remplaçante soumise mais bel et bien une femme forte aimant son mari et le soutenant même via l'évocation d'une tromperie. Sa meilleure scène est sans doute lors du procès, où l'on aurait pu voir une femme déstabilisée et réduite à l'humiliation par le juge Roger Robb (Jason Clarke), toutefois elle se bat ardemment, maîtresse de la répartie.



La garantie d'une paix nucléaire ?

Le dilemme se fait central à travers l'avancée de la science et pour mettre en place une course de vitesse contre les nazis durant la Seconde Guerre Mondiale, mais quel sera son futur ? Le meurtre des justes et des injustes dans des proportions considérables, la destruction, arrêter la guerre une bonne fois pour toute en ciblant le Japon qui ne fait preuve d'aucune reddition. Le "Gadget" deviendra l'arme lors de l'installation de cette ville presque cloisonnée, surveillée par le général Groves (Matt Damon), instigateur du Projet Manhattan.


L'essai de l'arme nucléaire du nom de code Trinity, est magistralement mis en scène dans une tension frissonnante. La lumière étincelante épousant le silence désertique et mutique face à une telle colonne de flamme. Puis le son, écrasant de puissance, cela sera la clé pour parvenir à une paix.


La paix mais à quel prix ? Celui de plusieurs milliers de victimes suivant les ordres du président Truman. Harry S. Truman, interprété par l'ancien Winston Churchill, Gary Oldman, qui retrouve la politique et dresse une scène mémorable. Ce pleurnichard d'Oppenheimer déclare qu'il a du sang sur les mains, Truman lui tend alors un mouchoir de soie en lui disant que le réel assassin ce trouve être celui qui a ordonné. Il n'en est pas moins réflexif que Robert y a participé et c'est bien sur ce point que naît sa lamentation.



La chasse aux sorcières pourpres

Après avoir fermement fait opposition aux armes thermonucléaires, il se met à dos Lewis Strauss qui manigance une audition truquée sous fond du maccarthysme. De loin ou de près, Oppenheimer est accusé d'être déloyal au gouvernement, considéré comme un communiste de par ses liens entretenus intellectuellement ou intimement (notamment sa femme Katherine et son frère Frank). L'avocat de Oppenheimer, pourtant brillant, est dépassé face à l'injustice qui se déroule lors de ces entretiens, retraçant les diverses connaissances du père de la bombe nucléaire. Pour citer d'autres acteurs surprenants que l'on revoit durant cet interrogatoire, il y a notamment Matthew Modine (Bush), Casey Affleck (Colonel Pash), David Dastmalchian (Borden), Dane DeHaan (Nichols), Ben Safdie (Teller), David Krumholtz (Isidor Isaac Rabi)...

L'habilitation d'Oppenheimer est alors refusée, l'homme qualifié de loyal mais toutefois décrié car le rouge le suit, du sang des victimes au communisme étiqueté. Robert Downey Jr. se fait plaisir à retrouver un rôle de performance, il incarne à merveille ce manipulateur égocentrique soucieux de garder sa place parmi les huiles au sein du gouvernement américain. Nolan en fait d'ailleurs une très bonnne partie de procès avec des dialogues incisifs et bien rythmés.



Larmes d'auto-destruction

La seconde discussion avec Albert Einstein (Tom Conti) marque un passage majeur dans la force du film, tels deux génies qu'ils sont, ils évoquent l'avenir. L'avenir où les traîtres lui serreront la main de nouveau (pour eux). Une fois réhabilité, cela s'est produit. L'avenir où une guerre nucléaire serait déclenchée par l'auto-destruction des dirigeants assoiffés d'orgueil, la réaction en chaîne a peut-être était lancée. La vision du ciel étoilé d'ogives nucléaires demeure terrassante. Reste à voir ce que le futur nous réservera, l'humanité et le cinéma gardera sûrement longtemps en mémoire cette œuvre intelligente.


Une petite ressource en plus pour découvrir l'intelligence et l'éloquence de Robert Oppenheimer et en français ! :

https://youtu.be/5E0r-ssYI94e

Et pour réecouter la fabuleuse composition de Göransson Can you hear the music :

https://youtu.be/4JZ-o3iAJv4

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le 23 juil. 2023

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Cubick

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