"I consider faith properly injected into a patient as effective in maintaining life as adrenaline"

Incontestablement, "People Will Talk" fait partie de ces films pour lesquels j'éprouve une affection tout irrationnelle. Sa capacité à me plonger dans un profond état d'allégresse n'y est sans doute pas étrangère. Car sous ses airs de banale-petite-comédie-sans-prétention, se cache un véritable bijou de fantaisie et de légèreté, une redoutable machine à induire la bonne humeur, un vibrant hymne à la joie et à la vie...

"People Will Talk" est la réponse de Mankiewicz, alors au sommet de sa gloire, à ceux qui entamèrent la chasse aux sorcières initiée par McCarthy à travers le pays et même Hollywood. C'est ce climat de dénonciation et de suspicion qu'il fustige à travers ce film, le titre est en ce sens sans équivoque et de même il est difficile de ne pas voir en Noah Praetorius, le personnage principal, une représentation de Manki, lui-même ! Le cinéaste connu pour son travail extrême sur les dialogues et son attention toute particulière envers la gent féminine, ressemble trait pour trait à ce génial médecin, qui soigne essentiellement des femmes, et qui prêche une médecine très humaine où la parole devient libératrice et apaisante, où le dialogue prend véritablement son sens.

On comprend très vite que "la parole" va être au centre du film, c'est une récurrence chez JLM mais cela est encore plus vrai ici. À travers l'utilisation cette "parole", va s'opposer deux camps : d'un côté on a ceux qui vont l'employer d'une manière délétère en calomniant, en dénonçant, en colportant des ragots (c'est Elwell, le jaloux confrère, ou l'oncle de Deborah, qui obéit à la voix de son maître (McCarthy?) à la radio) ; et puis on a ceux qui vont l'utiliser pour aider l'autre ou pour porter les valeurs humanistes (c'est bien sûr Praetorius et le père de Deborah). La parole, une même arme utilisée à des fins diverses suivant que l'on soit guidé par des forces constructives (de vie) ou destructives (de mort).

"People Will Talk" est à la fois une dénonciation du maccarthysme et une ode à la vie. Mais cela on ne le comprend pas tout de suite, Mankiewicz ayant bien pris soin de maquiller son "forfait" en anodine comédie romantique. D'ailleurs le début est assez trompeur avec la formation du couple Cary Grant-Jeanne Crain et la promesse d'une romance assez classique. Mais la richesse des grands films est justement d'avoir plusieurs niveaux de lecture, et c'est avec sa finesse habituelle que Mankiewicz nous expose son propos ; il suffit juste de savoir l'écouter !

Bon, vous me direz qu'il est bien gentil le père Mankiewicz avec sa dénonciation du maccarthysme mais que, autant d'années après, on s'en contrefiche un peu !

C'est vrai qu'il fait référence à une époque révolue et pour laquelle on a bien du mal à se passionner. Heureusement notre homme en profite pour bâtir une comédie fort sympathique où sont mises en avant des valeurs humanistes forcément intemporelles. C'est comme si Mankiewicz venait d'emprunter le costume de Capra pour faire briller les plus belles des vertus dans un univers délicieusement fantaisiste. Il confectionne à Cary Grant un personnage à la démesure de son talent, sans doute l'un de ses meilleurs rôles ! le Dr Praetorius est un homme à multiple facette, brillant médecin, grand humaniste, homme de cœur et férocement romantique. L'homme est pétri de qualité, sans doute trop pour le rendre crédible. Heureusement Grant interprète son rôle avec beaucoup de subtilité, suggérant les qualités plutôt que de les montrer, tout en faisant preuve d'une fantaisie enfantine des plus désarmantes ! Oui, on pose nos doutes et nos réticences aux pieds du grand Cary et on se délecte de ses invraisemblables manières. Que ce soit en faisant un cours d'anatomie, en réalisant ses consultations, en dirigeant un orchestre, en cuisinant une choucroute ou en se passionnant pour les trains (surtout les petits!) ; Cary a toujours ce style bien à lui, subtil mélange d'humour et d'élégance. Le bonhomme a une incroyable faculté à faire passer l'humour, une prestance, une rythmique, quelque chose d'imperceptible qui explose au grand jour dans ce rôle. "People Will Talk" est le film fétiche de Grant et de Mankiewicz, ce n'est pas un hasard.

Le film est un peu étrange dans sa façon de dénoncer mais sans chercher à approfondir les faits, certains personnages sont archétypaux (Elwell) et on a l'impression que Mankiewicz survole son sujet. De ce fait, "People Will Talk" semble être une œuvre un peu bancale, trop légère et elle n'a pas la réussite formelle des grandes œuvres du maître. Heureusement, Mankiewicz parsème son film de passage de hautes tenues, superbement romantique (avec une élégante scène de séduction dans une laiterie) ou diablement enthousiasmant. Mais c'est bien cette légèreté et ce bel enthousiasme qui prédominent... comme la dernière scène nous le rappelle avec Praetorius dirigeant "L'Ouverture pour une fête académique" de Brahms, tandis que retentissent des "Gaudeanius igitur" ! Une manière de dire : détendons-nous, prenons un bonbon et réjouissons-nous !



Procol-Harum
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le 10 sept. 2023

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