Venez faire un tour de piste !
Vous tous, les affamés, les va-nus-pieds, les déchus de la grande Crise. En ce début d'années 30, venez traîner vos guêtres sur la poste. Venez tenter votre chance. C'est ouvert à tous. Tout le monde a sa chance de réussir, c'est ça l'Amérique !
venez tous ! Le principe est clair, un marathon de danse. Le couple qui tient le plus longtemps gagne 1500 dollars. Par les temps qui courent (ou qui dansent), c'est énorme !


Allez, encore un tour.
Encore un petit tour de piste. Faites vous remarquer du public, vous aurez peut-être une chance d'être sponsorisé, à moins que quelqu'un, par générosité, vous jette deux ou trois piécettes, juste de quoi tenir encore un peu.
Ce qu'il vous faut, c'est de l'espoir. Vous devez garder l'espoir, sinon vous allez vous effondrer. Un peuple à qui on ne donne pas d'espoir, même l'espoir le plus minime, c'est un peuple qui peut se rebeller. Vous, on vous donne l'espoir de réussir, d'obtenir ces 1500 dollars. C'est pas trop cher payé, pour maintenir un peuple calme.
"Les gens veulent voir le spectacle de la misère, ça les aide à supporter la leur"


Juste quelques tours encore !
Mais je suis épuisé. Ils nous font danser, tout le temps, même pour manger, même pour boire. Ne jamais s'arrêter. Danse ou crève. Et quand on ne danse pas, on doit courir.
Ah ! ces derbys ! Des horreurs. Mais j'ai compris ! Il ne faut pas seulement espérer gagner, il faut rêver que l'autre perde, que l'autre s'écroule, s'effondre avant toi. C'est ça, aussi, le Rêve Américain : l'échec de l'Autre.


Encore et encore des tours.
Assurez le spectacle ! Le pubic doit en avoir pour son fric. Voilà une belle société, celle ou des miséreux s'étripent pour assurer le plus grand plaisir des privilégiés. Bien sûr, tous sont égaux, mais dans leurs classes respectives : les pauvres s'entretuent pendant que les riches regardent et parient. On ne peut quand même pas donner vraiment les mêmes chances à tout le monde, quand même.
D'ailleurs, la chance, ça se négocie. Pour assurer le spectacle, il faut bien aiguillonner un peu les candidats. Les pousser à bout, les ridiculiser. Parce que c'est ça aussi qu'on cherche : le spectacle de la fange, de l'abaissement des pauvres obligés à toutes la facéties ou à toutes les luttes avec leurs congénères pour gagner les miettes qu'on veut bien laisser tomber de la table.
Bien sûr que le jeu est truqué. Tout est truqué dès le début. Mais qui voudrait vraiment d'une réelle égalité des chances ?


Et quelques tours de manivelle...
Pour son 6ème film, Sydney Pollack montre à la fois sa révolte et sa maîtrise. Sa mise en scène est abrupte, elle ne laisse pas le spectateur s'échapper. Véritable tour de force que ce huis-clos de 2 heures à l'interprétation d'une intensité hors norme (Jane Fonda est époustouflante). Et Pollack multiplie les niveaux de lecture, depuis le drame personnel jusqu'au portrait sans concession d'une Amérique qui a trahi les idéaux d'égalité de ses pionniers, en passant par une critique acerbe de la société du spectacle (toujours tellement vraie de nos jours).
Le roman d'Horace McCoy date de 1935. Son adaptation, en 1969, sort alors que l'Amérique est dans une situation socio-économique totalement différente. Et pourtant, sa violence est toujours d'actualité, parce que ce que dit Pollack ici touche aux tréfonds vaseux de l'âme humaine.
On se dit que, aux Oscars 1970, entre On achève bien les chevaux et Macadam Cowboy, le jury a dû bien s'amuser...

SanFelice
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Boîtes de nuit et cabarets, L'Amérique des paumés et Petits et grands écrans en 2016

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le 29 févr. 2016

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