Om Shanti Om
7.3
Om Shanti Om

Film de Farah Khan (2007)

Loin d'avoir la prétention d'écrire une critique sur un tel film, je voudrais me permettre de revenir sur une scène, une seule et unique scène, qui m'a tellement fait écarquiller les yeux que j'ai eu de la peine à les retrouver sur le sol de mon hôte.
Nous parlons, bien entendu, peut être pas de la meilleure (Au cinéma ? la rencontre <3 ?), mais d'une tellement dense que je suis déjà sûr de faire une critique aussi longue que d'habitude, pourtant sur une seule scène, et en redoublant mon souci de concision. Nous parlons de « Dard-e-disco » : http://tinyurl.com/aewv2oq

Une telle science est mise à l'oeuvre dans cette scène qu'elle est assez représentative de tout le savoir faire vidéo que l'on peut imaginer, et donne un avant goût que j'estime honnête au film. Cette scène est conçue comme un clip, à part entière. Et chaque seconde relève du génie le plus confondant.

Premièrement, un peu de contextualisation, pour celui qui tomberait là dessus et n'aurait pas vu le film. Je vais rapidement parler de l'histoire, mais rien qui ne soit dit dans le résumé, donc no spoil. Notre héros donc, un figurant un poil loser amoureux d'une actrice ultra-célèbre, dans les années 70, est plus ou moins ré-incarné, à notre époque, dans un acteur ultra-célèbre. La scène qui nous concerne est l'une des premières de la seconde partie, celle où il est ré-incarné donc. En star de luxe, il est amené à jouer dans un film qui s'annonce comme un chef d’œuvre. Jugez-donc, dans la scène que l'on nous présente, il doit jouer un aveugle, manchot, en fauteuil roulant, muet (car il a trop crié dans la scène précédente, où il a perdu sa mère). Tout ça en un seul personnage. En fait rien que là ça donne le ton du film, cette espèce d'auto-parodie des canons bollywoodiens. On se moque avec affection du bollywood des années 70, on le parodie gentiment. Et tout le clip qui suit en est une parodie, je crois que c'est important de garder ça en tête pour mieux saisir le sens de cette scène.
Pour sauver ce qui s'annonce comme une catastrophe, Shah Rukh Khan (star immense et internationale, mais si vous êtes ici vous devez le savoir) propose l'idée du siècle : une scène de danse, de douleur. Ainsi naît « La douleur du disco », moment complètement invraisemblable et pourtant pile à sa place. En fait la scène musicale montre l'idée de l'acteur, et tout ça n'a pour but je crois (je ne me rappelle plus très bien du contexte exact, je sais qu'on me corrigera la dessus au besoin) que de prouver la toute-puissance créatrice de l'acteur.

Et alors commence la chose. Premier plan, magnifique, sur trois danseuses qui se trémoussent, en habits léopards. On sait qu'on vient de replonger dans les 70's. Coupes afros bien entendu. D'entrée de jeu les lumières sont incroyables. Mince, on a en arrière plan des choses complètement surréalistes, un mélange de jaune, d'orange, et de violet ! On a après des superpositions et des contrastes incroyables de jaunes/ocres (les danseuses) très félins sur des bleus/violets non moins irréels (le fond, la nuit sans doute). La caméra avance, avec une fluidité, un naturel incroyable, se frayant un chemin au milieu des danseuses qui s'écartent au fur et à mesure. Tout va très vite. Et arrive, LA star. Ah, pas de doute, c'est lui. La tenue est incroyable. La posture est incroyable. La coiffure est incroyable. Tout en lui est concentré pour faire, excusez moi de l'expression, mouiller les filles. Un concentré de sex-appeal à peine compréhensible. Shah Rukh Khan est alors une star complètement accomplie, et bien que méconnu en France en dehors des amateurs du cinéma indien, il est la bas l'idole incontestée. La bas et ailleurs, car sa gloire est internationale. Les producteurs, le réalisateurs, exploitent cette image ici mieux que jamais. Le mec est sculpté mieux que le groupe du Laocoon, il arrive en chemise, déboutonnée bien sur, et « l'air de rien » (en fait carrément l'air de tout) il l'entre-ouvre d'un geste énergique (genre « je suis pas là pour vous raconter des histoires, c'est mon corps que tu veux et je le sais »), laisse voir ses carreaux sans la moindre innocence, ses pectoraux aux dimensions calculées par les plus grands mathématiciens. Encore une fois, tout est au rendez-vous, et le plus fou ? Tout se passe en un clin d’œil. Les mecs ont tellement d'idées de mise en scène géniales qu'ils n'ont pas besoin de s'appesantir dessus trois plombes, une autre vient directement remplacer la suivante. J'écris en regardant le clip pour la énième fois, et je suis obligé de mettre pause à chaque seconde, en vingt lignes toujours pas fini la « scène léopard ». Bref, il étale son corps, les femmes viennent se frotter contre pendant qu'il lève la tête, le regard songeur perdu vers le ciel comme un anti-Penseur-de-Rodin. Mais on a pas le temps d'enregistrer l'image et de se rendre compte de sa lourdeur potentielle qu'on est déjà sur autre chose. Il débaroule dans le plan, encadré par deux créatures de rêve (encore une fois, la lumière est inimaginable, ce jaune qui l'éclaire et ces bleus/violets tout autour, je ne m'en remettrais jamais), et commence à chanter. Jamais « idole » n'aura été mieux employé. Et les plans se succèdent dans une inventivité lubrique incroyable, culminant sur celui ou deux de ces déesses afros sont à quatre pattes, fesses contre fesses se trémoussant, fesses sur lesquelles il est accoudé d'un bras, l'autre soutenant sa tête dans la position de l'ennui (paume contre joue), pendant qu'il continue à chanter. Inutile de dire que toutes les chorégraphies sont au poil, d'une perfection incroyable (et quand bien même il y aurait un micro défaut de synchronisation, tout va tellement vite que bien malin qui s'en rend compte en quelques visionnages). Toutes ces danses déploient une énergie incroyable, le geste y est précis, mais assez brutal, comme une explosion de sensualité. Tout le monde danse, lui, la chemise ouverte et les cheveux dans le vent, et elles, qui l'entourent et l'accompagnent comme des... euh.. je ne dirais pas le mot. C'est très animal, très primaire. Refrain, et changement d'atmosphère.

Ce clip est caractérisé par les ambiances successives qui sont en éternel contraste tant sur visuellement que musicalement. De l'opposition ocre/violets et des corps presque cassés qui se faisaient le leitmotiv visuel de l'afro-disco, on passe à des nuances bleu-ciel et quelque chose de virevoltant (la faute à tous ces voiles qui cherchent à nous perdre) qui se compose en leitmotiv d'une disco-orientale, que je ne connais pas mais dont je ne doute pas un seul instant de l'existence et de la popularité. Séquence introductive donc, de magnifiques danseuse (différentes des afros bien entendus) qui nous emportent dans leurs voiles tourbillonnants tout en nuances de bleus clairs. Et retour sur notre star, seule, sur un fond très similaire. Il nous apparaît les bras en croix, ouverts, et se penche dans un mouvement d'une théâtralité peu commune pour ramasser ce qui paraît être du sable -bleu- à ses pieds. Qu'il se jette en pluie sur le corps, pendant que la caméra resserre tranquillement son objectif sur son corps dévoilé dans une synchronisation époustouflante (et oui, une brise qui passe fait s'ouvrir -à nouveau- la chemise -différente- de SRK, au moment où le sable retombe sur lui et où la caméra a suffisamment zoomé). Après cette image de folie qui n'est encore rien comparé à ce que l'avenir -proche- nous réserve, on a de nouveau droit à lui dansant en chantant avec la série de danseuses orientales toutes plus belles les unes que les autres en fond. Loin de toute considération d'orientations sexuelles, il faudrait être un fou ou un benêt pour ne pas s’apercevoir du génie mis en œuvre pour pousser le sex-appeal de SRK à son paroxysme. Ils feront mieux. D'ailleurs, ce bout de séquence se poursuit, et l'air de rien, tout en chantant au milieu de ces Sirènes, il quitte sa chemise beige pour s'en faire enfiler une bleue ciel, qu'il ne met d'ailleurs qu'à moitié, avec l'innocence et le naturel qui sont de mises (et que personne n'arrivera jamais à recréer) de façon à ne pas recouvrir ses muscles abdominaux, pectoraux, et trapézoïdaux (très proéminents). Suit le refrain, comme toujours d'une incroyable précision rythmique et de ce qui m'apparaît à moi, piètre connaisseur de la danse, d'une certaine complexité, au moins physiquement. Un tel rythme doit être éprouvant au possible.

Changement d'atmosphère pour le couplet suivant, vous l'aurez compris. Je ne sais pas où on atterri. Musicalement ce « couplet » fait clairement office d'intermède, je crois que visuellement aussi. Les couleurs sont plus folles que jamais, on navigue sur une opposition de bleu (costumes) et de rose, dans un décors qui n'a plus rien de réel. On est sur quelque chose qui ressemblerait à Mars à la fin des années 70, quand le disco y faisait rage. Pour l'image de SRK, c'est ici bien sûr qu'elle est le plus exploitée. Avec une telle outrance qu'on sent le quinzième degré des réalisateurs (et ça, ça me rend fou, qu'ils arrivent à avoir une telle distance sur leur travail, à s'en moquer avec autant de sérieux et de talent, je n'ai jamais vu ça de ma vie). Après un rapide plan introductif avec ces danseuses en tenues étranges bleues, on a droit à... SRK torse nu, qui sort de l'eau, chacun de ses muscles contractés, sur un fond complètement impossible rose/rouge, en levant les bras au ciel dans son élan, pour se passer les mains dans les cheveux en les recoiffant vers l'arrière, projetant de l'eau partout. Le tout, tenez vous bien, au ralenti, et mieux encore, repassé plusieurs fois sous des angles différents. A ce moment là ma mâchoire s'était désolidarisée de mon corps pour faire sa vie ailleurs, très loin en bas. Mais ils ne s'arrêtent pas là, tous les clichés les plus fous y passent : après SRK émergeant de l'eau, SRK se recoiffant dans le lac, on a SRK sous la cascade (très vite rejoint par deux filles qui semblent venues de nulle part), et, comble du comble, dans un plan absolument mythique et qui s'inscrit dans mon panthéon personnel de l'abus caractérisé, SRK ouvrant les bras en croix, la chemise bien sûr ouverte, recevant dans un élan phallique ce qui doit être un énorme seau d'eau sur le corps. C'est tellement sexuel ! Tellement érotique ! Mais ça va tellement loin ! Avec une telle auto-dérision ! Suit encore SRK sous la pluie. Et comme pour rattraper ce retard, on enchaîne sans plus attendre sur la séquence suivante.

The last but not the least, on a ici l'image type de la disco européenne. Blondes et brunes en mini-shorts et débardeurs rouges, avec des casques jaunes de chantier (Sérieusement ?!) . Et ça y va bon sang, move your ass, ça se trémousse comme dans un clip mtv, sur fond de ce qui m'apparaît comme une reproduction volontairement cheap d'immeubles/buildings (mais qu'est-ce au juste ?) en référence peut être aux décors lamentables des films de la période disco (cf Disco Dancer, gast !). Mais on sent clairement la séquence de conclusion. On intercale un plan rapide de l'équipe de tournage en pleine folie, la caméra s'éloigne, et sur ce dernier refrain et ces corps féminins à se damner on passe à autre chose, dont je ne vous dirais rien pour ne pas gâcher l'intrigue à ceux qui ne l'auraient toujours pas vu.

Je tiens à mentionner quand même que le morceau n'est même pas fini que l'on passe sur un point crucial de l'histoire. Et ça c'est typique de ce film. Impossible de trouver des longueurs en presque 3h, tout s'enchaîne avec un tel art du rythme, de la cadence, de la succession, que Wagner passe pour le dernier des cancres en matière de transition. Est-on fasse à la Gesamtkunstwerk du XXIe siècle ? J'aime à le croire. Sont réunis ici tellement de savoir-faire, tellement de finesse, tellement de maîtrise, que j'en viens à redéfinir ma conception du cinéma. Je me revois, dans le métro, rentrant chez moi, exultant et rageant à la fois, me demandant la distance que je devais prendre face à ce que je venais de voir, s'il était possible de relativiser ça, d'en faire une « simple » expérience...
Et ici ce ne sont presque que des aspects mineurs que j'ai évoqué, la faute au sujet, très restreint, j'en veux pour preuve que ce ne sont jamais que 4'30 du film, sur 2h45... Aucun mot sur le montage génial auquel on assiste toujours plus ébahit dans ce cinéma, sur le sens de la narration qui remet tous les plus grands réalisateurs hollywoodiens à leur place, le comique tout en second degré, en finesse, et en auto-dérision (cette dernière qualité tellement rare au cinéma, mais toujours moins que l'association des trois), le casting monumental (que je ne suis même pas tout à fait en mesure de juger), les clichés sur lesquels joue le film (le méchant, le couple, la célébrité, bollywood...), la mise en abyme permanente, la réflexion sur le show-business, et que sais-je encore... j'en suis sorti changé, définitivement.

Et vous savez ce qui fait 75% de mon admiration pour ce film ? C'est qu'à aucun moment, vraiment aucun, ce que j'ai décrit n'est ridicule.
Pourtant, il y a tout pour, tout, et même plus encore. Mais bollywood, c'est ça : On prend les clichés les plus horribles de kitschitude, et on en fait quelque chose de tellement, tellement, tellement poussé, que ça en devient d'une crédibilité surnaturelle. On y croit, on arrête de se moquer au bout de cinq minutes de film, on est happé par cet univers sur-coloré, où tout, le moindre élément, est poussé à l'extrême, et en acquiert une authenticité inégalable.

A ceux qui l'ont déjà vu seulement, une petite piqûre de rappel, la merveilleuse scène de la rencontre, Ajab Si :
http://www.youtube.com/watch?v=z314kaHgsmo

Mon Dieu, je suis fou de ce film, je crois que je peux mourir maintenant.
Adobtard
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le 10 févr. 2013

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