Nope
6.8
Nope

Film de Jordan Peele (2022)

Nope, anomalie géniale dans le paysage désolé du divertissement hollywoodien, produit un ravissement esthétique total : soit l’entrelacs de différents genres cinématographiques, depuis la science-fiction et ses petits hommes verts, caricaturés avec malice, jusqu’au western exploré de ses origines fordiennes – la séquence de tempête dans l’abri mobilise une imagerie d’ouverture et de fermeture de l’espace inspiré de The Searchers (John Ford, 1956) entre autres – aux réactualisations récentes, notamment Django Unchained (Quentin Tarantino, 2012) et sa maison blanche ensanglantée ici par une pluie suspecte. Ajoutons également la mise en abyme du spectacle entendu comme industrie et comme représentation à laquelle nous, spectateurs, assistons : le générique entre dans le corps extraterrestre de la créature pour atteindre les images d’un cheval qui, placées les unes à la suite des autres, produisent l’illusion du mouvement selon la technique chronophotographique d’Eadweard Muybridge, explicitement cité par les personnages du film.

Or, qu’il s’agisse du photographe américain ou de ses avatars fictionnels (le frère et la sœur, le technicien en charge des caméra, l’expert), l’essentiel réside dans la captation et la capture d’images inédites. Il y a donc corrélation entre l’entremêlement des genres d’une part et la quête d’une nouvelle forme de vie d’autre part avec, comme point de contact, la fascination pour une violence primitive – voir la fresque de Michel-Ange La Création d’Adam revisitée entre la main d’un garçon apeuré et celle d’un singe bourreau. Les séquences de reality show, dispersées dans tout le long métrage, ne se relient que mal à l’intrigue principale ; or, ces digressions offrent ensemble un passé commun aux protagonistes ainsi qu’une surface dans laquelle viennent se réfléchir les enjeux de Nope, dans laquelle viennent se dévoiler ses rouages internes. Les aliens sont appelés « spectateurs » et engloutissent tout ce qui rencontre leur regard, métaphore filée du public de masse qui absorbe, par voie rétinienne, ce que leur diffuse l’industrie de l’entertainment embrassée intégralement (spectacles à la Wild West Show, parcs d’attraction, télévision, réseaux sociaux et plateformes).

Jordan Peele interroge ainsi la fascination du spectateur pour ce qu’il regarde, et la perçoit telle une pulsion carnassière qui consomme les images jusqu’à les intégrer à sa structure interne – les corps aspirés fusionnent avec la paroi. Son intelligence est alors de ne jamais enfermer son film dans l’illustration d’une thèse abstraite, mais de disséminer des symboles ouverts à l’interprétation, de ventiler son récit, d’ouvrir ses images à l’appétit carnivore du public. À ce mélange générique correspond un mélange tonal : le burlesque, tout entier porté par le duo déséquilibré que forment une sœur exubérante et un frère timide, se teinte de drame lorsque la famille est mise à l’épreuve (cf. ouverture) voire de tragique quand survient la clausule.

Jordan Peele prouve que la réussite de son premier long métrage, Get Out (2017), ne tient pas du hasard : il compose une œuvre-somme brillante qui, par sa gloutonnerie artistique et sa maestria de mise en scène, nous donne à voir et à vivre une expérience hallucinante. Rarement aurons-nous été à ce point intrigués et excités par un divertissement de cinéma.

Fêtons_le_cinéma
10

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 1 janv. 2023

Critique lue 20 fois

2 j'aime

Critique lue 20 fois

2

D'autres avis sur Nope

Nope
Rolex53
4

Nope une apparition prometteuse, et puis plus rien dans le ciel

Get out, oui, us, pas mal, Nope, non. Cette tentative de déconstruction du concept d'Ovni, renforcée par une symbolique liée à la nature, ainsi qu'une certaine critique touchant à l'humanité, et à...

le 6 sept. 2022

154 j'aime

5

Nope
Cygurd
8

Refus, pas si catégorique, de la société du spectacle

Après l’impressionnant coup d’éclat Get Out, Jordan Peele n’avait pas franchement transformé l’essai avec Us, prototype du second long ampoulé et péchant par excès de symbolisme. Nope allait donc...

le 27 juil. 2022

151 j'aime

12

Nope
Behind_the_Mask
5

♫ Monster up and down... Monster move around... ♪

Aujourd'hui, un film de Jordan Peele ne peut que susciter l'attente : tant au regard de la qualité des films qu'il réalise que de leur aspect militant, voire politique, ou encore de son aura critique...

le 10 août 2022

92 j'aime

14

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14