Nope
6.7
Nope

Film de Jordan Peele (2022)

Le nom de Jordan Peele a su se frayer une place à part dans la conscience des amateurs de cinéma, et ce depuis quelques années maintenant. Avec ses deux précédents thrillers horrifiques au discours sociétal engagé que sont Get Out (2017) et Us (2019), une nouvelle anomalie s’est présentée cette année avec Nope.


Dans le désert californien, où aucune âme ne vit à des kilomètres à la ronde, rien ne peut arriver. Et pourtant. Du ciel semblent surgir des forces invisibles qui frappent sans coup férir et qui s’abattent avec fracas sur ceux qui auraient eu le malheur de s’y exposer. La mort rôde dans ces collines, mais nul ne sait d’où elle vient. Volontairement cryptique dès son introduction, Nope choisit deux événements initiaux sans réel contexte préalable : un massacre sur un plateau télé provoqué par un chimpanzé devenu fou, et la mort d’un dresseur de chevaux sous les yeux de son fils, tué par une pièce de monnaie venue se ficher dans son crâne.


Viennent rapidement les questions, et nous verrons plus tard, pour les réponses, peut-être. OJ, le jeune dresseur de chevaux, est guère expansif, faisant son travail avec une attitude mêlant lassitude et timidité. Tout le contraire de sa sœur, très expansive et entreprenante, voire trop. Ils ont repris l’entreprise familiale, qui dresse des chevaux notamment pour le cinéma et la télévision, mais le succès n’est pas au rendez-vous, les tournages se passent mal et la faillite est proche.


Mais ce présent où peu de choses particulière semblent se passer cache derrière lui des traumatismes, que ce soit la chute destructrice et meurtrière d’objets pour OJ, ou l’attaque du chimpanzé déchaîné pour Jupe. Et même s’ils semblent tout faire pour laisser cela derrière eux, quelque chose dans l’air maintient la menace bien vive. Une atmosphère étrange règne dans Nope, quelque chose d’oppressant et de malsain, grâce à une vraie culture du mystère qui tient le spectateur en haleine et sans cesse sur ses gardes. Alors que l’intrigue progresse, que les événements étranges et inexplicables se succèdent, et que les personnages principaux enquêtent, le spectateur se retrouve avec toujours plus de questions en tête, et une volonté naturelle et rationnelle de comprendre ce qui se déroule devant ses yeux.


Vient alors l’une des autres grandes qualités du film : cerner et matérialiser l’indicible, nous laissant dans le mystère et l’incompréhension sans que cela n’engendre de frustration. Car Nope est de ces films qui, s’ils refusent de dévoiler tout leur jeu et de donner toutes les clés pour le cerner, ne nous empêchent pas d’être happés par ce qui se passe devant notre écran. Pourtant, tout cela a bien un sens, avec le fonctionnement de ce prédateur cosmique qui happe ses proies quand elles le regardent, cette altération des objets électroniques, et ce mélange de peur et de fascination envers le danger.


Dans ce monde, le spectacle est roi, c’est lui qui nous galvanise et qui abreuve les curieux de ce qu’ils cherchent : les sensations, l’originalité, l’unicité. Jupe a grandi dedans et a développé une obsession morbide, probablement pour exorciser ses traumatismes. OJ et Em y contribuent avec leurs chevaux. Angel est féru d’ufologie et d’histoires d’extraterrestres. Antlers Holst, le chef opérateur, est obsédé par la quête de l’image parfaite. Partout règne cette fascination pour quelque chose qui paraît supérieur, qui attire notre regard, et qui, une fois qu’il le croise, nous happe et nous broie.


Là où Jordan Peele semblait trop se regarder filmer et montrer les ficelles de son cinéma dans Us, il semble ici justement parvenir à nous maintenir dans cet épais brouillard qui nous fait nous égarer. Paradoxalement, nous sommes aussi happés par ce spectacle captivant, jusqu’à son dernier acte aussi ingénieux que remarquable. Le cinéaste réussit encore une belle performance avec ce nouveau film qui vient sonder des thématiques intéressantes, touchant directement les spectateurs que nous sommes, qui cherchons à nous extraire de notre quotidien et de notre réalité, et à vivre des choses uniques. Nope impressionne, et donne envie de s’y replonger pour prêter attention à tous les détails qui auraient pu nous échapper, et y dénicher d’autres secrets parmi les très nombreux qu’il recèle.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus en 2022 : On en reprendra bien un peu et Les meilleurs films de 2022

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le 9 janv. 2023

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JKDZ29

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