Suivant un mouvement qu’il avait introduit avec L’Apollonide puis parfait avec Saint Laurent où, à chaque fois, le cinéaste nous introduisait sauvagement à une bulle philosophique déconnectée du monde qui l’entoure, Bonello revient cette année avec Nocturama – la maison close et la haute-couture laissent cette fois leur place à des terroristes métrosexuels antisystème. Sur le papier, l’idée peut interroger – il faut d’ailleurs faire remarquer qu’elle a germé dans l’esprit de son auteur bien avant les attentats de janvier 2015 – le doute reste en tout cas le même pendant toute la première demi-heure du film, sorte de Elephant dans les transports en commun qui n’en finit pas.


C’est quand Nocturama décide de se poser qu’il devient subitement fascinant. La farce se substitue au thriller, l’errance commence. Si le film de Bonello n’est pas toujours très pertinent, il possède un charme fou ; son cadre, ses références, ses couleurs. Le réalisateur français, à défaut de développer ses personnages, sait les observer, chacun d’entre eux face à leurs actions, face à leur vie, face au regard des autres, face au monde. Pour apprécier à sa juste valeur Nocturama, il faut dès le départ accepter une chose essentielle : on est dans l’allégorie, loin du réalisme et de la rigueur. Ici ce n’est pas le mode opératoire qui compte, mais le résultat.
C’est là le premier problème du film : se concentrer inutilement sur ce qui, au bout du compte, n’a pas vraiment d’importance. Il aurait sans doute gagné à démarrer directement dans le centre commercial – lieu d’action du deuxième acte – à ne pas s’engraisser de cette première partie creuse et en total désaccord avec les conclusions maladives qu’il tire par la suite : un effet de miroir, peut-être ? Oui, mais bien trop épais.


Mais ce serait seulement se questionner sur la cohérence de la démarche qui n’a, au final, qu’un intérêt purement émotionnel. Nocturama est un film sur l’action et ses conséquences, sur le blues du révolutionnaire. On tente de renverser le système pour finalement se noyer dans ses produits, étouffé sous le poids ludique et symbolique de ces jouets militaires, de ces beaux costumes et de ces enceintes dernier cri. Le paradoxe de la rébellion jeune, de l’anarchisme irréfléchi, comme prisonnier volontaire de ses propres geôliers. De bien belles phrases pour un traitement de surface, dont la force ne se trouve pas dans sa complexité, mais dans cette empathie que Bonello porte à ses personnages.
Il les torture, il les prend au piège, les tourne en ridicule, les isole, mais surtout les romanise. Des anti-héros tragiques qu’on n’aura aucun mal à détester, puis à prendre en pitié au travers de leurs failles, plus que jamais béantes alors qu’ils traversent une crise identitaire. Terrifiés ou en plein déni, c’est lorsqu’ils appellent à l’aide que les masques tombent. Alors apparaît un visage enfantin, vierge, perdu, que la colère aura transformé en monstre hideux.


Nocturama est une tentative plus ou moins délicate de parler du fameux malaise des jeunes. Le désespoir face à l’inconnu comme seul état possible, alors qu’un dilemme s’offre alors aux valeureux naïfs et aux réfléchis désenchantés : le sang, ou la résignation. Difficile de dire si le dilemme n’était pas lui-même corrompu dès le départ (N’y a-t-il vraiment que deux issues ?) mais c’est dans son acceptation de cette possible dérive chaotique que Nocturama se révèle une œuvre radicale. L’ultime suicide est ici celui de la fuite de ses propres actes ; comme un retour au silence absolu. Une bulle sourde aux sirènes et aux larmes, l’égoïsme révélé alors qu’on découvre, par l’entrebâillement d’une porte, qu’il existe un au-dehors. Les sensations sont là, les idées aussi, il est donc difficile de ne pas en ressortir tourmenté, même si on aurait tout de même espéré que cela soit un peu plus cérébral.

Vivienn
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le 4 sept. 2016

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