A Tokyo, plusieurs personnes sont retrouvées mortes, sauvagement mutilées, mais la thèse du suicide est retenue. Cependant, l'enquêtrice Keiko Kirishima découvre vite que toutes les victimes ont été en contact téléphonique avec un certain "Zéro" avant de mourir, celui-ci ayant le pouvoir de s'introduire dans les rêves. Pouvoir que partage avec lui Kyoichi Kagenuma, jeune homme torturé, qui deviendra l'élément clé pour aider la détective dans son enquête.
Le réalisateur affirme donc avec ce film sa volonté de renouer avec un cinéma horrifique plus classique, ce qui sera le cas dans sa première partie. La séquence d'introduction est d'ailleurs un clin d'œil à toutes les productions de films de fantômes asiatiques, même si très vite nous sommes embarqués dans un trip bien plus gore que fantastique.
Les meurtres sont d'autant plus saisissants visuellement qu'accomplis par une main invisible, dans les cauchemars, et par les victimes elles-mêmes se charcutant à coup de cutter ou de ciseaux, dans la réalité. Servi par une photo remarquable, dont la froideur est intensifiée par l'utilisation récurrente de filtres bleus – une des marques de fabrique du réalisateur – Nightmare Detective instaure dans sa seconde partie une ambiance à la mélancolie dévastatrice, notamment au travers de la figuration d'une architecture tokyoïte suffocante et sinistre.
C'est en effet une société japonaise profondément dépressive que Shinya Tsukamoto s'évertue à détailler, une société responsable de la multiplication d'individus en souffrance, incapables de se lier ou de communiquer avec leurs semblables.
Nightmare Detective s'éloigne alors progressivement de sa trame réaliste pour nous emmener dans les tréfonds des cauchemars de ses protagonistes, reflets de l'inconscient collectif où s'opposent continuellement désirs de vie et de mort. Que ce soit Zéro, l'enquêtrice ou Kagenuma, tous sont en lutte contre eux-mêmes, éprouvant tout autant cet attrait morbide pour le suicide que cette volonté viscérale de trouver un sens à leur existence.
Sans cesse sur le fil, l'acuité du propos doit beaucoup à l'interprétation de Hitomi, chanteuse de K-pop à succès dont c'est ici le premier rôle, mais surtout à celle de Ryuhei Matsuda. L'acteur incarnant Kagenuma possède une vulnérabilité qui sert à la perfection le désespoir émanant de son personnage, vivant son don comme un fardeau, phagocytant les peurs de chacun.
Dans un montage cut qui suit une construction analogue à celle des rêves, le film superpose souvenirs d'enfances, représentations fantasmées et images sanglantes des meurtres, nous entrainant dans une confusion visuelle magnétique. Car Nightmare Detective, comme tous les films de Shinya Tsukamoto, est avant tout un film sensoriel, où les images ont une puissance évocatrice considérable, qui n'est pas sans rappeler sous certains aspects les œuvres de David Cronenberg ou de Gaspar Noé. On appréciera alors ou non de perdre pied sans plus pouvoir différencier le réel du rêve, jusqu'à la séquence finale abasourdissante.
Même si une note optimiste émerge de ce chaos, le film demeure foncièrement sombre, traversé d'un bout à l'autre par un spleen bouleversant. Réussissant à sonder les recoins les plus obscurs du subconscient, il s'impose effectivement comme une allégorie très juste d'une détresse contemporaine à laquelle il ne semble pas y avoir d'issue.
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