" L'important c'est d'aimer " est à remettre dans son contexte.

1972, Zulawski réalise " Le diable " en Pologne, qui tombe sous le coup d'une censure très violente. Il décide de venir tourner en France " L'important c'est d'aimer " en 1975 avant de rencontrer une vraie reconnaissance avec " Possession " en 1981. " L'important c'est d'aimer " est donc réalisé dans une période de crise pour le réalisateur, ce qui s'en ressent tout le long du film.

Romy Schneider y incarne une actrice de seconde zone, partagée entre son amour pour son mari, porté à l'écran par Jacques Dutronc, et pour un photographe (Fabio Testi). Cependant réduire le film à une simple histoire d'amour contrariée serait très injuste au vu de la complexité du scénario.

" L'important c'est d'aimer " débute sur une scène inoubliable. Romy Schneider est sur le tournage d'un obscur porno horrifique et doit déclamer un " Je t'aime " qui ne parviendra jamais à sortir. Les larmes coulent sur son visage, dans un décor ensanglanté où une réalisatrice s'époumone. Et alors que Fabio Testi immortalise dans un coin cet instant de fragilité avec son appareil photo, elle lui dira dans un souffle : " Je suis une comédienne, vous savez, je sais faire des trucs bien. Ça ici, je le fais pour bouffer, c'est tout, alors ne prenez pas de photos ".

Tout est dit. L'incapacité à aimer dans un monde aussi agressif, les multiples facettes de l'être, l'amour du cinéma, la violence des rapports humains. Zulawski, par une réalisation baroque et volontairement artificielle (zooms et dézooms, cadres dans le cadre, sons omniprésents) déclinera ces thématiques à travers une galerie de personnages sadiques, fêlés, perdus, hors normes.

On retiendra Romy Schneider évidemment, magnifique, capable de transmettre n'importe quelle émotion par un simple regard, rongée par la peur de vieillir. Jacques Dutronc, dont c'est ici le premier rôle principal au cinéma, cache sous des airs de clown insouciant un homme blessé et effrayé. Mais Zulawki n'oublie pas les seconds rôles non plus, même si on ne peut pas vraiment parler de " seconds " ici, tels que Klaus Kinsky incarnant son doppelgänger, acteur excessif et révolté.

Tous se croisent dans un monde pourri, sombre, sadique d'où pourtant émergeront les sentiments les plus passionnels. Finalement " L'important c'est d'aimer " pourrait être vu comme le pendant colérique et brutal du " Mépris " de Godard. On y retrouve le cinéma personnalisé à l'écran mais un cinéma bis, rejeté et mal aimé, où pullulent freaks et acteurs ratés. Romy Schneider est aussi paumée que Brigitte Bardot, mais là où celle-ci incarnait un fantasme sexiste de la femme légère et volage, Romy Scheinder ne cédera jamais à la facilité, même si tiraillée entre son intelligence et son image, allant jusqu'à expliquer à Jacques Dutronc pourquoi elle ne le méprise pas.

Zulawski nous livre un film extrêmement violent et poisseux, insistant dans chaque plan sur la bassesse et les failles de l'être humain. Cruel sans jamais être gratuit, " L'important c'est d'aimer " nous laisse nauséeux mais nous permet d'émerger d'une certaine indifférence insidieuse. Salutaire.
Miho
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le 14 févr. 2011

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