Johnny est l’homme qui murmurait aux oreilles des âmes déchues. Un parolier de la mélancolie, un poète macabre de l’apocalypse. Il est la petite voix qui se fraie un chemin dans votre esprit pour se questionner sur la douleur des plus faibles, pour se demander : pourquoi, à quoi bon ? Il s’incruste sans rien ne demander à personne. Mike Leigh est anglais, et même s’il fait parler les plus démunis dans son film comme peut le faire un Ken Loach, l’univers fréquenté par Naked est bien plus sombre, miséreux, balloté entre une mélancolie cynique et un désespoir bringuebalant. Le réalisateur ne laisse aucune place à une lumière guillerette. Naked, c’est tout simplement le périple urbain et nocturne de Johnny, qui va de rencontres en connaissances, sans aucun but précis outre celui de vivre parce qu’il le faut bien. Putain de vie.
Il traine son spleen philosophique et rigolard à travers sa caboche abimée par le destin. Mike Leigh crée là un monstre fantomatique, un être vagabond aussi pathétique qu’effronté. Un nihiliste parfumé par la crasse d’un Londres cauchemardesque. Cette ville de Londres, cette réalisation sensible et sublimement photographiée est le deuxième personnage d’un long métrage dont Johnny est le récit à lui tout seul : cette une existence qui tance ses nouvelles comme un oiseau de mauvais augure. La démarche de Johnny, sa capacité à se cacher derrière une verve incessante et grinçante fait penser à celle de Franck de « Série Noire » d’Alain Corneau.
On y retrouve ce même environnement austère et grimé par une misère des bas quartiers avec ces rues faiblement allumées et tristement crades. Même dans ces antres critiques, il y trouve une onde, une ombre qui le suit à chacun de ses pas. Mais Johnny n’est qu’un dialogue éthéré, pas qu’un simple affabulateur névrosé, il est aussi, un physique, une carcasse longiligne, morbide et violente, malmenant physiquement et sexuellement les femmes qui croisent sa route, comme si la psychopathie du personnage de Jean du film de Philippe Grandrieux (« Sombre ») planait sur sa tête.
David Thewlis délivre par la même occasion une prestation assez impressionnante de justesse avec une théâtralité que n’aurait pas reniée le cinéma de Patrice Chéreau (« Intimité »). Naked, c’est un homme nu de toute pensée positive, qui ne pense pas au début de la vie mais qui se tue à réfléchir de façon acerbe à sa finalité où l’ombre d’une fin du monde bénéfique pour l’humanité fait sa place dans son esprit. Il traine sa carcasse, affublé d’un long manteau noir. Johnny, c’est le mal être qui prend ses distances avec l’espérance.