Peu de films m’ont marqué comme Naked de Mike Leigh, que je peux regarder au moins une fois par an sans être lassé.
C’est bien plus que l’histoire d’un paumé qui erre dans les rues de Londres, c’est une œuvre philosophique qui reflète les inquiétudes d’une époque où règne l’incertitude, le vide et le désespoir.
Johnny, le personnage principal, est un prophète millénariste des temps modernes. Il est sale, mal habillé et plus ou moins SDF ; il ne possède rien à pars un sac, les vêtements qu’il a sur lui, un paquet de clopes et des livres qu’il vole ici et là. Il passe une bonne partie de son temps à lire, errer et à partager sa vision apocalyptique du monde.
Pour Johnny, la fin du monde est proche ; selon lui, au lieu d’être détruit l’Homme va évoluer spirituellement et physiquement et se rapprocher progressivement du divin. Tous les signes sont là : les codes-barres sont les marques de la Bête, Tchernobyl n’est que la première d’une longue série de catastrophes apocalyptiques et la décadence intellectuelle et civilisationnelle est présente dans les actes et attitudes de chacun.
Face à lui existe la personnification du Mal, la synthèse de tous les maux de la terre : le yuppie arrogant et misogyne Jeremy.
Mais Johnny n’est pas un chrétien classique, comme tout bon prophète c’est un hérétique incompris par la majorité.
Malgré sa folie et le fait qu’il soit un personnage désagréable, sa repartie et ses dialogues nous transmettent une vision du monde intéressante qui n’est pas isolée dans une folie pure ou dans une logique propre au film. Il nous apporte une critique du monde réel tout à fait recevable face à une médiocrité et superficialité ambiante ; les gens pensent surtout à atteindre des petits plaisirs immédiats et égoïstes sans jamais trop réfléchir à leur vie et le monde qui les entourent, l’important pour eux étant juste d’éviter de s’emmerder. Cela a pour conséquence de créer une société vide, qui est intellectuellement et spirituellement corrompue, illustrée par tous les personnages que rencontre Johnny, des individus perdus, déprimés et insatisfaits qui s’ennuient et subissent inévitablement une forme de misère (financière, sexuelle, intellectuelle, spirituelle, émotionnelle, etc.).
Johnny est donc un prophète, voire même un messie, qui traverse un désert où chacun est isolé, même s’ils se trouvent tous dans l’une des plus importantes métropoles du monde moderne ; il est souvent dit que l’individualisme extrême de notre époque éloigne les gens les uns des autres, chose aggravé aujourd’hui par internet. Johnny est le pont entre toutes les personnes isolées qu’il croise : il en aide deux à se retrouver, il rend visite à la femme que le gardien de nuit aimerait rencontrer mais n’ose pas, il devient le centre de jalousies et de discussions entre les deux colocatrices, etc.
En même temps il partage ses idées sur le monde, mais personne ne semble réellement l’écouter en dehors du gardien qui partage son enthousiasme pour la spiritualité. Après plusieurs jours d’errances dans Londres il se fait tabasser et revient blessé chez son amie (tourmentée par un diable). Il finit par dire qu’il est passé par sa propre Via Dolorosa ; il a été crucifié par une société qu’il a tenté d’éclairer sur la condition humaine mais qui ne souhaite pas l’écouter ou le comprendre.