Définitivement retiré des services secrets, James Bond (Daniel Craig) est contacté par la CIA en la personne de son ami Felix Leiter (Jeffrey Wright) pour les aider à retrouver un scientifique du MI6 qui a été enlevé par des membres du Spectre. Mais ils découvrent qu’au-delà du Spectre se tient un homme décidé à mettre en œuvre un plan d’une envergure insoupçonnée…


Dès les premières secondes du film, la couleur est annoncée : Mourir peut attendre sera le film qui consomme l’hérésie entamée par les quatre épisodes de James Bond période Daniel Craig. S’ouvrant sur le premier flashback de la saga, le film est plus décidé que jamais à explorer le passé de ses personnages. C’est ici Madeleine Swann qui en fait les frais, au travers d’une scène indigne de n’importe quel James Bond (avec une mention spéciale au méchant qui veut tuer une petite fille, et qui repart de la chambre sans même penser à regarder derrière le lit, où elle se trouve évidemment).
Fort heureusement, la deuxième moitié de la (très longue) séquence pré-générique nous rassure amplement : même si un James Bond s’est déjà ouvert de manière plus spectaculaire, celui-ci démontre un réel savoir-faire de la part de son réalisateur Cary Joji Fukunaga. A l’aide de l’excellent Linus Sandgren (directeur de la photographie de La La Land ou First Man), il compose des scènes d’action sèches, tendues et spectaculaires, comme l’illustre la poursuite de Matera.


Cette séquence pré-générique, qui doit durer une bonne vingtaine de minutes sinon plus, illustre à merveille la maladie dont souffre Mourir peut attendre, étonnant mélange d’efficacité narrative et de niaiserie hors de propos. Il faut dire que le film de Fukunaga est sans doute l’épisode de la saga qui bascule le plus dans la guimauve sentimentale. La faute en revient sans nul doute à une écriture surexplicative, qui multiplie les bavardages au détriment de l’action, et même (pire) de l’émotion.
A force de surligner au sein des dialogues sans doute les moins subtils de la saga ce que le spectateur est censé comprendre et ressentir, Mourir peut attendre se tire une balle dans le pied en versant dans le tire-larmes le plus conventionnel, et donc en supprimant instantanément la portée émotionnelle de ses scènes. A ce titre, il sera intéressant de comparer les fins de Mourir peut attendre et de Skyfall, tant le contraste entre les deux est flagrant. La retenue toute britannique et pleine de pudeur de Sam Mendes s’est évaporée comme neige au soleil, ne laissant derrière elle qu’un succédané gentillet de Spielberg, où le mot « famille » en viendrait à devenir insupportable aux oreilles du plus zélé défenseur des Manifs pour tous, ultime trahison des canons de la saga bondienne.
Sur le plan scénaristique, donc, Mourir peut attendre est peut-être le plus faible des volets avec Daniel Craig. Ses personnages s’affadissent considérablement, Bond utilise les ruses les plus éculées du monde (la scène où il fait semblant de demander pardon au méchant prouve au moins que le méchant en question n’a vraiment pas de cerveau), la nouvelle 007 est si pénible qu’on en viendrait presque à voter Le Pen et de manière générale, Blofeld est relégué au rang de légume souriant de luxe tandis que l’antagoniste principal nous rappelle que, décidément, tout le monde n’a pas la chance d’être Javier Bardem.


Si Mourir peut attendre est un film aussi mal écrit, que nous reste-t-il en rayon ? Comme toujours chez James Bond, un film d’action et d’espionnage super-efficace. Certes, aucune scène d’action ne semble vouée à entrer dans le top 10 des meilleures scènes d’action de la saga, mais on prend un immense plaisir à chacune d’entre elles. Si l’on est déçu que la poursuite dans Matera fasse de la séquence pré-générique le pic d’adrénaline du film, il reste suffisamment de bons moments au sommet desquels la fusillade de Cuba (peut-être la plus belle scène du film), pilotée par une Ana de Armas plus somptueuse que jamais, ou bien la difficile montée de l’escalier dans la QG final, composée en partie d’un brillant plan-séquence.
Heureusement pour nous, dans ces scènes, Cary Joji Fukunaga ne rate pas son coup et nous immerge au plus proche des personnages, grâce à l’œil affûté de Sandgren, qui s’amuse comme un fou avec l’imagerie bondienne (géniale incursion du mythique gunbarrel dans les couloirs du QG de Safin), et démontre une maîtrise totale des éclairages. Qu’il s’agisse du soleil d’Italie, des lumières rouges d’un bateau en train de sombrer, ou des ombres d’un ancien fort soviétique, l’ombre et la lumière sont des protagonistes à part entière du film, rappelant en cela les grandes heures de Sam Mendes (même si le final de Skyfall reste la plus belle claque visuelle qu’on se soit prise devant un James Bond).


Si les personnages fonctionnent malgré leurs défauts d’écriture, c’est aussi, bien évidemment, grâce à leurs interprètes. Daniel Craig est plus sec et plus nerveux que jamais, Léa Seydoux, dont on a dit ailleurs le plus grand mal, nous fait regretter nos vilaines paroles, prouvant qu’elle peut (quand elle le souhaite) être une grande actrice, Ralph Fiennes est plus impressionnant que jamais dans sa brutalité rentrée, Rami Malek essaye tant bien que mal de faire exister son personnage vide, et Lashana Lynch séduit ponctuellement par la justesse de son jeu, tant que la rage antiraciste de son personnage, caution morale pour tous les indigénistes fous qui ont envahi les rangs de Mélenchon, ne prend pas le dessus.
Ainsi, par la grâce d’un casting tout à son affaire, on réussit peu à peu à s’attacher aux personnages, même si le moment venu de défaire les liens qui les unissent, on ne ressentira jamais ce qu’on aurait voulu.


Notons également que l’arrivée de Hans Zimmer dans un James Bond est l’occasion pour lui de nous rappeler que derrière ce nom existe encore le grand compositeur qui émerveilla nos oreilles, étant jeunes. Alors qu’on avait été très déçus par la soupe auditive qui égrenait Dune, on est en revanche très content de le voir renouer avec les harmonies arnoldiennes (avec de temps à autre une légère touche de John Barry) de la saga. Rien de très exceptionnel, mais c’est plaisant, et cela accompagne parfaitement le film.


Au bilan, il faut bien reconnaître que Mourir peut attendre peine à remplir sa mission, tant la conclusion qu’elle donne à la période Craig paraît bien quelconque pour un épisode où le personnage est censé tirer sa révérence. Néanmoins, le film de Fukunaga réussit à tenir ses 2h40 à merveille pour nous offrir un divertissement bien emballé, extrêmement bien filmé, qui nous permet de nous évader une dernière fois aux côtés d’un acteur qui ne fut pas James Bond, mais qui fut, et qui est toujours, immense.
Et pour les plus puristes des fans de Bond, on ne peut que leur conseiller de rester jusqu’à la fin du générique : à défaut de les rassurer sur la couleur de peau du prochain James Bond, la phrase qui clôt la projection les rassurera au moins sur son genre et son identité. C’est déjà ça de pris.

Tonto
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le 6 oct. 2021

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