Que l'on prenne l'ère Craig par n'importe quel bout, on peut difficilement y voir une forme de tiédeur de la part de ses producteurs. Les prises de risque sont bien réelles et les méthodes de production passées, basées sur l'interchangeabilité des scenarii, mortes et enterrées. Le choix de l'interprète principal, entre les traits de Jean Gabin et ceux de Brad Pitt osait le contraste du trait fin au creux du visage marmoréen. Il ne restait qu'à imposer à la saga une vision plus actuelle de L'Agent secret préféré de sa majesté par le prisme artistique d'une part mais aussi par la bienveillance de metteurs en scène d'autre part plus concernés par l'homme désormais sensible et à fleur de peau que par l'enveloppe de l'action man. Réappropriation des codes de la saga, donc, par un Martin Campbell en état de Grace dans un Casino Royal puissant et racé. Puis place aux expérimentations formelles et à la sécheresse de Quantum of Solace de Marc Forster qui laissera les cinéphiles interrogatifs et les turbos fans de Bond claqués au sol. As dans la manche de Michael Wilson et Barbara Broccoli, Sam Mendes viendra quatre ans plus tard mettre tout le monde d'accord avec Skyfall, proposition taillée dans le marbre avant de connaitre à son tour un revers avec Spectre. Un étrange dernier opus clivant scindé en deux parties distinctes dont la première constitue ce que la saga a fait de plus enivrant avant de s'offrir un authentique crash en first class dans sa seconde moitié. Quatre volets auquel Mourir peut attendre vient se joindre avec l'envie d'y apporter sa patte identitaire, chose compliquée lorsque l'on connait sur le bout des doigts les chemins artistiques empruntés.


À chaud, sur le plan formel, le constat est sans appel, Mourir peut attendre est une belle mosaïque dont chaque fragment appartient à un film passé : On y retrouvera quelques textures familières comme les intérieurs luxueux de Spectre, l'architecture rustique Romano-gothique Italienne issue de Quantum of Solace et les lacs gelés de Skyfall. Le spectateur se coulera doucement dans ce nouveau moule et se sentira en terrain connu avant de comprendre quel est le but avoué des auteurs de cette dernière mouture. Car oui, il y a un plan d'envergure derrière ce segment de fin avant tout orienté sur des personnages qui ne seront jamais à l'heure de leurs sentiments. C'est une période de remords, de regrets, de quiproquos et d'une légère dépression qui viendrait presque pointer le bout de son nez. Dans sa volonté d'affirmer sa différence, Mourir peut attendre se présente comme un grand film romantique. Peu de densité narrative sur ses 2h40 mais une utilisation bénéfique de sa durée pour y instaurer de la sensibilité et une tendresse inattendue. Une belle occasion de laisser les comédiens s'exprimer une dernière fois au travers de leurs personnages dans une version négative de Spectre où la ballade de santé de Sam Mendes va, ici, rapidement virée à l'émotion brut.


À l'instar de Mission Impossible 2, le dernier volet de James Bond vise un problème dans l'air du temps : la portée de l'arme bactériologique. "La Chimère" pour le film de John Woo, "Heracles" pour celui de Fukunaga, les deux films partagent l'idée d'un poison mythologique capable d'éradiquer la race humaine. Les génériques sont d'ailleurs en total adéquation lorsqu'il s'agit d'illustrer la puissance des Dieux par des oeuvres picturales représentants la statue d'Hercule ou encore celle de fameuse Chimère, créature hybride entre la chèvre et le lion. Autant Woo tentera d'élever ses personnages au rang de Dieux tout puissant autant Fukunaga ramènera ces grandes figures sur terre avec l'envie de les faire souffrir et de conserver ce qu'ils ont de plus beau : leur Amour. L'ambition (non) avouée est assurément de viser l'imagerie Hitchcockienne : La Main au collet et ses amants sous un soleil doux méditerranéen au volant d'un bolide vintage puis celle Des enchaînés bien sûr avec son personnage féminin sacrifié entre un espion et une némésis masquée. Léa Seydoux reprend le rôle de Madeleine suite au happy end poussif de Spectre et s'autorise une véritable introspection de cette femme mystérieuse au passé trouble. De même que Daniel Craig pousse toujours plus loin l'idée du poing et de la caresse. Dans cette perspective, il convient de regarder Mourir peut attendre en inversant le tableau et à reconsidérer les proportions d'un Bond ordinaire et de les confronter à ce nouvel opus. Le grand élan romanesque aura sans commune mesure pris le pas sur le mouvement, imposant par la même occasion un nouveau canon inattendu.


Mourir peut attendre peut compter sur un nombre conséquent de réussites, néanmoins son équilibre est souvent balloté par ses ambitions de terminer la saga en beauté. Comment lier l'originalité tout en suivant à la lettre le cahier des charges ? Casino Royale et Skyfall avaient déjà très certainement répondu à la question mais serions-nous seulement capables de refuser un Bond où L'Amour éternel prendrait largement le pas sur L'exotisme et l'action ? Ce dernier opus restera friable sur bien des plans mais le coeur qui l'accompagne l'élève à un niveau de romantisme jamais vu.

Star-Lord09
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le 6 oct. 2021

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