Un peu brillant mais manque de mordant

Très célèbre dans les années 1990 grâce à Jurassic Park (tiré d'un de ses romans) et Urgences (série dont il est le créateur), Michael Crichton fut d'abord écrivain spécialisé dans le techno-thriller. Une dizaine de ses romans a été adapté au cinéma, pour plusieurs gros budgets donnant notamment Sphère, Le 13e guerrier, mais aussi dans un registre plus conventionnel : Harcèlement. Crichton est également passé derrière la caméra, au départ pour un téléfilm (Pursuit) puis pour Mondwest (dont JJ Abrams tire la série Worldwest en 2017), premier long-métrage utilisant des images numériques. Avant de virer kitsch & cuir dans les années 1980, il en réalise un second, Coma aka Morts suspectes, film assez brillant mais rabaissé par sa modestie et sa prudence.


Il se déroule en milieu hospitalier et fait preuve de réalisme, sans faire le grand saut 'documentaire' qu'interdit le cinéma de fiction conventionnel : par conséquent, le jargon reste accessible et la tripaille hors-champ. La rigueur est la principale caractéristique du film et rejaillit sur tous les domaines ; service empoisonné, étant donné que le propos de fond n'est pas approfondi et le mystère a peu de réserves. Les artifices pour entretenir le suspense sont utilisés avec talent, mais ce suspense en lui-même est pauvre, même le spectateur le plus ingénu devinant l'issue. Le cheminement, les ornements, la qualité des découvertes et leur éventuelle ouverture (qu'elle soit intellectuelle, politique ou surnaturelle) doivent donc décider de la pertinence du film. Et là-dessus Coma frise l'excellence sans se départir de la banalité.


Les coups de pression et les indices bizarres renvoient aux caricatures du thriller paranoïaque ou complotiste des années 1970 (les sommités du genre, comme Conversation secrète ou Network, dépassent ces 'clichés'). Mort suspecte n'est que relativement désuet sur ce plan, car en 1978 il est pile à l'heure. Le médecin Susan Wheeler (Bujold, vue plus tard dans Faux-Semblants) attire la sympathie en cumulant les bons points. Seuls ses pleurs la diminuent. Taxée de paranoïaque (elle en a quelques dispositions), c'est une femme pressée, par sa propre boussole, d'être la parano qui est raison. Experte à la base de la pyramide, elle se distingue par ses capacités et son tempérament, avant d'être une héroïne de l'action, seule contre tous. Son credo est le tout-compétence et elle méprise l'autorité, le statut, les jeux d'influence, est incorruptible et indépendante, rebelle sans concessions ; d'où ces irrépressibles prises de risque, mais aussi finalement un manque d'ambition morale et de vision, quand ses adversaires ont un plan pour l'avenir – et que leur respect pour l'objet caché les a déjà fait régler des foules de débats éthiques.


Lorsque l'étau se resserre, comme convenu, Coma livre quelques moments intenses et vues saisissantes. La mort de l'ouvrier de maintenance est presque médiocre d'un point de vue narratif : voilà le témoin liquidé au moment où allait tout déballer à Susan, le témoin qui en outre ne se saisit de son savoir que sur le tard. Mais cette mort est spectaculaire, un morceau horrifique en forme de drame électrique, amenant de façon bis et haute-en-couleur le basculement du film dans la science-fiction. La chambre froide et la défense via les cadavres en rajoute dans l'Horreur (une collection plus massive et rationalisée que celle dans Hellraiser II). Le plus important est ce qu'assume au grand jour la corporation malveillante dont Susan va lever le secret : ces corps suspendus, repris pour la promotion du film, dont le traitement est porteur d'espoirs douloureux et d'intérêts odieux. Sans surprises ni révélations extraordinaires, le film se passe également d'entamer une réflexion à ce sujet.


Il a tout de même le mérite de présenter la science et en particulier la médecine comme des institutions, concurrentes des autres déjà identifiées, fondant elles aussi leur pouvoir sur la foi. Le prix des progrès acquis ou promis, c'est l'hégémonie de ces fascistes en cravates, mercantilistes visionnaires dont le matériau est humain et, ici, les moyens à disposition considérables. Le paternalisme du patron de Susan y gagne une nouvelle facette, exposée dans un face-à-face inégal, où Crichton agite des 'tropes' avec efficacité (le fait de savoir ou pas ce qu'il faut pour soi et pour la société, être en mesure de l'apprécier). Mais le final ne résout que les urgences immédiates (le cas de Susan et la hiérarchie à l'hôpital), là où pourrait commencer le meilleur. Coma sonne donc comme un projet très ambitieux partant tranquille et sûr, ne se gonflant jamais comme il aurait dû et virant à l'entertainment 'glacial' et racé, mais superficiel face à 'la bête'.


Il montre ces experts éclairés (et entrepreneurs, oui car pleinement éclairés) n'ayant d'éthique que pragmatique ou directement hypocrites, mais le thème de la gestion de la mort est empoigné sans être effleuré (comme l'aurait été n'importe quel gadget attractif). Reste la qualité des dialogues, des grandes lignes, de quelques images fortes, l'assertivité sans maniérisme de la mise en scène en général et une ironie très personnelle (l'espèce de carte-postale d'un week-end trivial et pourtant romantique, brutalement interrompue, renvoyant ainsi au caractère indomptable et inhabituel de Susan). Enfin ce film a la faculté rare d'éviter le superflu tout en sachant faire traîner, sans ennuyer ou sembler se cacher (comme Obsession/De Palma dont Bujold est aussi la protagoniste). Les spectateurs y retrouveront Ed Harris dans sa toute première apparition (même tête à 28 qu'à 60 ans) et Michael Douglas dans un de ses premiers films au cinéma ; il sert son rôle plutôt que l'inverse. On trouve également Tom Selleck et sa moustache avant l'explosion de leur carrière grâce à Magnum (1980-88).


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le 24 sept. 2016

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