Je suis très étonné : le film est mauvais, mais pas du tout comme je m'y attendais.
J'étais sorti du Crime de L'Orient-Express énervé contre ce foutoir hideux qui manquait cruellement de mystère et je pensais en voir une sorte de copie. Sauf qu'en fait pas du tout. Ici, pas de grandes envolées ridicules : le film est entièrement plat et sans aucune rugosité. Il n'arrive même pas à m'énerver tant il me laisse froid.
Mais si le ressenti est différent, les problèmes sont de même nature : un manque radical de mystère, combiné à une mise en scène qui oscille entre le navrant (on aligne les clichés comme des cartes postales de l'Égypte, la scène clé autour de laquelle toute l'histoire gravite est bâclée, l'explication finale à peine survolée) et le potable (un joli plan symétrique avec le Sphinx et les pyramides, et une scène de danse pas mal). En fait, rien ne ressort, on assiste à une suite d'évènements et de dialogues décousus auxquels rien ne vient donner corps. Tout va trop vite, aucun des personnages n'est développé, à tel point que même en connaissant l'histoire par cœur, on finit par les confondre. Et au final ça laisse une impression très étrange : pendant deux heures on s'ennuie, mais à la fin on se dit que tout ça aurait mérité un traitement plus détaillé.
Je suis un fan absolu des adaptations de Lumet et Guillermin, et j'ai pratiquement appris à lire avec Agatha Christie. Par contre, je n'ai rien contre le fait qu'un réalisateur s'approprie une œuvre pour livrer quelque chose qui lui ressemble, donc si je suis a priori dubitatif face au Poirot que Branagh souhaite construire, c'est uniquement parce qu'il ne cadre pas avec le reste de l'entreprise : vouloir concilier le huis clos et le spectaculaire, c'est un projet qui nécessite de grandes qualités de mise en scène.
Or, Branagh semble croire qu'il suffit de plonger ses personnages dans la pénombre pour créer du mystère et qu'intercaler l'une ou l'autre scène musicale réussira à traduire à l'écran le tragique de la situation. Le harcèlement qui rythme la première partie de l'histoire est traité avec tellement de désinvolture que quand le meurtre survient finalement, on peine à imaginer ce qui aurait pu motiver la suspecte toute désignée.
Une chose qui m'a marqué, c'est que tout ce que le scénario apporte comme changement par rapport au livre contribue à affaiblir la mécanique de l'intrigue (je ne parle pas du pourquoi du comment de la moustache, qui n'a pas de conséquences réelles). Je pense notamment au dernier meurtre, dont la puissance venait de la minutie dans la progression du dialogue : ici, Branagh réussit à en atomiser le sens en une seule réplique. Dans son genre, c'est une sorte d'exploit.
La triste vérité est qu'il n'y a rien d'énigmatique, aucune identité, aucune émotion, juste une bouillie numérique insignifiante. Un film bien propre sur lui, lisse et translucide.
Oh, et voir Kenneth Branagh faire une moue pas possible en disant qu'il aime le blues est un grand moment de comédie involontaire.