Avec un titre aussi laconique, le nouveau film du suisse Frédéric Mermoud , Moka, suscite la curiosité.
Moka, c’est une couleur café, belle et élégante. Ainsi est le film du cinéaste, beau et élégant, à l’image de cette entame très forte, Diane (impressionnante Emmanuelle Devos) qui se tape obstinément et compulsivement le front contre une baie vitrée donnant sur le lac Léman, posant d’emblée le postulat d’une certaine intensité.


Diane Kramer est alitée dans ce qui s’apparente à une clinique. Il s’agit plus vraisemblablement d’un hôpital psychiatrique ou d’une maison de repos. Dans les volutes de la fumée des cigarettes qu’elle brûle les unes après les autres, elle a des visions d’un jeune garçon qui pourrait être son fils. C’est son fils, c’était son fils, et assez vite on comprend que celui-ci a été renversé et tué par un chauffard au volant d’une voiture couleur moka, selon le détective qu’elle a engagé. Diane se sauve de la clinique et traverse la frontière pour suivre à Evian la trace d’une voiture couleur moka, et suspecte.


Moka a tout l’air d’un revenge movie, d’une vigilante à la mode romande, avec cette femme qui va friser la folie dans sa recherche du ou de la meurtrière de son fils, puisqu’il faut appeler un chat un chat. Pourtant, le film est beaucoup plus que ça, et se focalise surtout sur son chemin cathartique pour tenter de revenir vers le monde des vivants. Frédéric Mermoud installe certes une ambiance anxiogène, quand il met sa protagoniste face à Marlène (Nathalie Baye), celle qu’elle pense être la chauffarde. Il réussit à mettre parfaitement en scène le danger permanent que Marlène et ses proches courent, face à une mère paradoxalement aussi perdue que déterminée, capable de tout à tout moment…


Mais ce qui touche dans son film, c’est surtout la solitude et la douleur de Diane, qui ne sait vers qui ni vers quoi diriger sa souffrance. Simon, son mari interprété avec beaucoup de justesse et de pudeur par un Samuel Labarthe aussi élégant qu’à l’habitude, devient presque un ennemi, celui qui n’a pas su empêcher le désastre, celui qui reste raisonnable et qui a accepté l’inacceptable. Au contraire, dans son parcours vengeur, elle rencontre de nouvelles personnes, dont Marlène, et leur contact la ramène petit à petit dans le réel, l’éloigne quelque peu de ses intentions borderline qui ne sont d’ailleurs pas sans nous rappeler la récente prestation de Marina Foïs dans l’excellent Irréprochable de Sébastien Marnier. Marlène la coupable devient à son insu presque une bouée de sauvetage pour Diane.


Emmanuelle Devos est parfaite dans ce rôle de femme triste et esseulée, qu’elle a déjà embrassé de manière évidemment plus ou moins différente dans plusieurs de ses récents films : Le temps de l’aventure de Jérôme Bonnell, La Vie domestique d’Isabelle Cjazka, ou encore Arrête ou je continue de Sophie Filières. L’actrice sait déployer une forme de mélancolie qui apporte une forte crédibilité à ces films, et dans Moka, son jeu si particulier décuple l’intensité dramatique de la survenue de la mort d’un fils.


Quant à Nathalie Baye, elle est également dans un registre doux- amer et émouvant. En prenant conscience de son âge, du moindre désir qu’elle semble susciter auprès de son amant plus jeune, des doutes et des peurs que cela engendre, le personnage, une gérante de parfumerie, « un truc pour les vieilles qui veulent paraître jeunes » comme dira sa propre fille Elodie (Diane Rouxel), fait presque écho à l’actrice, une talentueuse actrice que l’on voit vieillir sous nos yeux. Quand Marlène parle, c’est presque Nathalie Baye qu’on entend. Elle livre ici une très belle performance, empreinte de douceur et de sensibilité.


Comme un vrai thriller, Moka connaît des twists dont l’exploitation est cependant assez maladroite, pour ne pas dire expéditive. Toute à son intrigue psychologique, réussie au demeurant, le cinéaste a oublié ce fil-ci de son métrage, et c’est dans une sorte de maelstrom foutraque qu’il délivrera à la fin du film coups de théâtre et révélations. Beaucoup trop tardivement en tout cas pour donner du corps à l’intrigue policière déjà très ténue. Même les scènes les plus musclées (coups de feu, courses poursuites) verseront dans une symbolique plutôt lourde et convenue, et ne rapprochent en rien le film de son côté thriller initial.
Le spectateur retiendra plutôt ces beaux portraits de femmes, celui de Diane Kramer en particulier, un personnage riche et évolutif, même s’il n’apporte pas au film le dynamisme qui lui manque. Il retiendra également l’époustouflante photo d’Irina Lubtchansky aidée par une nature généreuse, depuis les hauteurs d’Evian jusqu’aux miroitements du Lac Léman, superbement filmé dans son calme trompeur, à l’instar de Marlène et de Diane. Une réussite en demi-teinte donc, faute à une certaine mollesse, mais un film qui est loin d’être déplaisant à visionner…


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Bea_Dls
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le 27 août 2016

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Bea Dls

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