Il m'est bien difficile de ne pas apprécier ce film de René Allio à l'aune du style qu'avait échafaudé Robert Bresson avant lui. Ce qui change tout dans cette histoire retranscrivant dans un style quasiment documentaire (mais sans jamais en avoir la prétention ou même l'intention) des événements datant du début du XIXe siècle, c'est que la majorité des personnages est interprétée par des paysans normands, rejouant ainsi un fait divers local puissamment sordide qui avait eu lieu plus d'un siècle avant. De cette disposition relativement clivante se distingue deux attitudes : l'adhésion par immersion ou bien le rejet de forme.


Pierre Rivière est un jeune paysan de 20 ans qui tua sa mère, sa sœur et son jeune frère à coups de serpes le 3 juin 1835. Suite à cet acte abominable, il s'enfuit dans les bois (se nourrissant d'herbes et de mollusques) et fut capturé plusieurs semaines plus tard avant d'être emprisonné. Celui qui était considéré comme un demeuré par tout son entourage raconta l'histoire de sa vie et les raisons qui le poussèrent à agir ainsi par écrit, sur quarante pages autobiographiques. Un texte qui suscite une grande surprise dans sa qualité, de la part d'un garçon qui a toujours eu un comportement étrange, jusqu'à pousser Michel Foucault à diriger un séminaire à ce sujet au Collège de France.


Car dans ce document autobiographique, comme le film le révèle selon un montage suivant deux axes (l'avant et l'après, grosso modo), il expose des raisons aussi claires et lucides en apparence que monstrueuses et illuminées : il souhaitait par ces meurtres délivrer son père des "peines et afflictions" que lui faisait subir sa mère depuis le premier jour de leur mariage, et affirme avoir agi sur l'ordre de Dieu. Sujet à débat qui longtemps opposa magistrats et psychiatre. Le film est en tous cas d'une sobriété toute bressonienne, en immersion dans la campagne normande, et interroge avec une originalité franche les concepts de vérité et d'histoire. Beaucoup de longueurs malgré tout, surtout dans un paysage cinématographique aussi aride, mais la forme de chronique rurale est sous certains aspects hypnotisante. Peinture d'un sacrifice, aussi, effrayant autant que bouleversant, perdu entre lucidité partielle et aveuglement mélancolique.

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le 8 juil. 2021

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Morrinson

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