D'abord, il y a les mots. Ceux qui vont jusqu'au cœur, jusqu'à toucher là où ça enfle, jusqu'au plus profond, où l'émotion apparaît d'un seul coup, grande, pure. Les mots qui tranchent comme l'acte effroyable du dit Rivière, de beauté, d'ardeur, de vie, de justesse. Les nombreux accents des façons de parler de chaque personnages, tous sidérants, étonnants, atypiques, qui boitent, d'une rareté qui touche droit à la vie, à cette chose impalpable qui demeure dans l'existence même du cinéma. La difficulté à capturer la vie lorsqu'elle y est sidérante de beauté et que cette beauté se fait simple, sans fards, sans plasticité, et qu'elle y est infiniment poignante.
Parfois, comme dans le film de René Allio, c'est là que le cinéma trouve toute sa puissance même : dans la simplicité de chaque geste, dans la futilité de chaque vie, dans la justesse à montrer le réel, l'impalpable, le furtif qui passe sans crier gare, les êtres qui jouent sans jouer, et qui ne jouent pas puisqu'ils sont eux, et qu'ils montrent alors toute la singularité de l'être humain, et non une personne robotisé, formaté pour qu'on y joue des rôles qu'on voit partout.
Mais alors, ne pas confondre avec le cinéma dit "naturaliste". Ce cinéma qui montre la vie sans élégance, dans ce qu'elle a de plus brut, de plus grise, de plus banale. Comme le fond par exemple les frères Dardenne ou une grande partie du cinéma français, de nos jours : ce cinéma qui se détourne de l'esthétique comme pour dire que la vie, la vraie vie, non celle du cinéma, n'est pas belle. Est toute fade dans son manque de lumière, d'esthétisme.
Foutaises. Le cinéma est un art. Nous avons besoin de beauté dans le cinéma. De la beauté des êtres humains comme de la beauté de l'intégralité d'un film.
Et ce n'est pas parce que plus un film est moche, plus il s'approche de la vie.
La vie aussi peut être belle. La vie aussi peut avoir besoin d'esthétisme, de beauté, de grandeur.
Et d'ailleurs, la vie au cinéma doit avoir besoin d'esthétisme. Sinon le cinéma est mort, et bien mort.
Je ne parle pas seulement de la qualité de l'image, de l'esthétisme au sens le plus brut du terme. L'esthétisme : savoir comment jouer avec les images, avec les couleurs, les lumières, les grains. Savoir apprivoiser la surface d'un film.


Le film de René Allio s'appuie sur un essai de Michel Foucault, qui porte le même titre à rallonge, magnifique. Et alors, bien sûr, tout est dans le titre.
Un film tourné sous forme de documentaire, d'une lenteur parfois un peu grande, qu'il faut savoir dépasser. Parce que le film se veut une vision contemplative du monde, des êtres, des paysages ô combien sublimes. Parce que seules les images en elles-même portent la faculté à reproduire avec délicatesse, avec justesse, précision, une époque à présent révolue. 1835, et chaque costume, comme chaque brin de voix, chaque couleurs, sont reproduits avec un réalisme déconcertant.
Le personnage de Pierre Rivière et sa façon de parler complètement sidérante, en articulant comme un enfant, son regard à moitié fou, son éclatante justesse, comme tous les autres.


René Allio dépeint ici un film qui parle, parle, parle, mais qui n'explique finalement rien à l'acte atroce d'un jeune homme de vingt ans. Les mots coulent de source, embellissent le paysage, mais n'expliquent rien. Comme chez tant d'autres, c'est beau à en crever.


=> A retrouver sur mon blog.

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le 16 avr. 2015

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Lunette

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