En fait, le titre du film est l'incipit, les premiers mots du mémoire de Pierre Rivière. Jeune homme âgé d'une vingtaine d'années, il a violemment assassiné sa mère, son frère et sa soeur à coups de serpe. Le film s'offre en reconstitution 1/ du drame et du procès de Rivière 2/ du mémoire de Rivière qui a écrit pour justifier son acte criminel, l'ensemble adaptant le travail de synthèse de Michel Foucault, célèbre auteur en criminologie (Surveiller et Punir, c'est lui !).
Bref. Le plan d'ouverture du film, un arbre sur lequel vient se superposer le titre est assez révélateur du caractère quasi-documentaire du film de René Allio. Dans sa construction, le cinéaste penche d'ailleurs résolument pour la reconstitution d'époque et offre d'abord, et c'est le premier point à souligner, une reconstitution d'une précision et d'une authenticité rare. Allio n'est pas Tavernier, et a très bien compris qu'il ne suffit pas de grimer et de déguiser Philippe Noiret (ou n'importe quel autre acteur connu et reconnu) en faisant un inventaire de tous les indices de contextualisation sociale et politique (on se rappelle tristement des affiches La Croix, le Journal le plus antisémite de France, dans le Juge et l'Assassin ... L'analogie n'est d'ailleurs pas si bête, j'y reviendrai). Il préfère donc l'humilité et la simplicité et c'est tout à son honneur. Allio s'est entouré d'une troupe d'acteurs non-professionnels (comme un certain Pasolini pour l'Evangile selon St Matthieu ...) pour faire son film qui ne se propose pas en reconstitution fantasmagorique d'une époque révolue (ce que fait Tavernier en contextualisant très lourdement ses reconstitutions dans un contexte politique balisé et TREEES identifiable pour prof d'histoire à la retraite, bon j'arrête de casser du sucre sur le dos de ce pauvre Bertrand qui n'a rien demandé). Non. Allio préfère l'épure et le film est, au plus, une représentation de la vie paysanne de Pierre Rivière (représentation qui n'est évidemment pas sans écho, puisqu'elle renvoie, on se le doute, à la représentation de la vie paysanne en général).
Et je dois dire que le travail à ce niveau est particulièrement soigné et admirable. On s'y croirait chez les bouseux, entre les accents des personnages, l'épure bressonnienne du jeu des acteurs, et le refus d'un formalisme qui serait ici franchement déplacé (la mise en scène a un côté résolument documentaire).
Mais Moi Pierre Rivière est plus que cette reconstitution bien foutue mais qui, si elle se suffisait à elle-même, flirterait avec l'académisme. Non. Allio est déjà conscient qu'il adapte un auteur. Et plutôt que de faire une adaptation plan-plan, chronologique, linéaire de la vie de Pierre Rivière, il préfère assumer cette littéralité. Et le dispositif suit donc à la fois le texte du mémoire de Rivière, récité en voix-off par le personnage, auxquelles viennent se superposer les images comme une illustration ou un complément, mais aussi l'arrestation, le déroulement du procès ...etc.
Ce dispositif littéraire n'est pas forcément très éloigné de ceux de Resnais (dans Hiroshima mon amour, entre autres) ou de Queysanne dans sa splendide adaptation de Perec (Un Homme qui dort). Dans tous les cas, de reconstitution de la paysannerie au début du XIXe siècle, le film devient un passionnant document de criminologie (le cas Rivière, est-il fou ou ne l'est-il pas ? Pas très loin de ce qui taraude Tavernier dans le Juge et l'Assassin tout ça).
Toutes ces dimensions du même film s'enrichissent l'une-l'autre. Bien évidemment, le récit de Rivière, et avec elle la reconstitution de cette paysannerie, se justifie d'un point de vue purement scénaristique par son arrestation. Mais il y a aussi une dialectique passionnante dans ce contradictoire sur le cas Rivière que viennent enrichir les témoignages des villageois.
Et bien évidemment, l'ensemble finit par dégager une poésie et une sensibilité très épurée, très authentique. Un peu comme chez Bresson.