Un film intéressant et destabilisant, adaptation d'un ouvrage éponyme de Michel Foucault, paru en 1973. L'histoire relate un fait-divers sordide, qui s'est déroulé en 1835, au cours duquel un jeune paysan normand fanatique assassine, avec une serpe, sa mère, sa soeur et son frère, pour "délivrer" son père de son épouse, qui l'a réduit à l'endettement et a entamé avec lui une procédure de séparation des corps et des biens. Si le film alterne scènes d'interrogatoires des villageois, pour mieux cerner la personnalité du personnage, l'essentiel du film est un récit autobiographique, au cours duquel le personnage présente son enfance, expose les préparatifs et les raisons de son passage à l'acte.

La narration est froide, quasi-prétifiante, ponctuée de quelques envolées lyriques du personnage, où l'on apprend sa haine pathologique des femmes, son fanatisme religieux -son geste serait guidé par Dieu- et quelques informations sur enfance. Cela met en particulier en lumière les mécanismes de la folie, qui peut transformer un jeune paysan mal à l'aise en société en tueur sanguinaire. La lecture foucaldienne de ce film nous amène également à questionner l'attitude de la société à l'égard de cette folie, dans un contexte où la psyhologie comme science est de construction récente - c'est l'époque où le docteur Philippe Pinel fait tout juste connaître sa méthode de traitement des aliénés, centrée sur l'étude de l'histoire personnelle des patients. Reportons-nous en particulier à la scène où les deux psychologues exposent, au tribunal, leurs théories sur l'aliénation, ou non, de Pierre Rivière, qui souligne ce tatonnement scientifique pour établir un diagnostic psychologique. Reste que ce film créé une forme de malaise dans le sens où la mise en scène, très immersive et intimiste, suscite une forme d'empathie avec le personnage, monstrueux dans ses actes, mais humain dans sa fragilité émotionnelle. A l'instar d'une certaine lecture déterministe de la psychologie ou de la sociologie, qui tendrait à relativiser la gravité d'un crime, au nom de la compréhension sientifique, ce film tend à brouiller les frontières de la morale, établissant une chaine causale entre la difficile vie de Pierre Rivière et son passage à l'acte.

C'est aussi un film au réalisme volontairement brut, mais à la réalisation soignée, en témoigne la répresentation puissante (et sanguinolante) du crime, en contraste avec le calme et la beauté de la campagne ornaise. A voir également les quelques plans tout droit sortis de scènes de genre des Frères le Nain ; c'est aussi cette vie rurale, pauvre, habitée par des hommes et femmes aux expressions pudiques et aux représentations collectives enracinées sur le temps long, que le réalisateur arrive à retranscrire à la perfection.

Enfin, signalons le pari réussi du réalisateur de faire jouer des acteurs non-professionnels (ce qui n'est pas sans rappeler la démarche de Pasolini dans son Mamma Roma), originaires des villages normands dans lesquels se déroulent l'action, et dont l'usage du patois local rajoute une couche supplémentaire de réalisme.

LonardBarbulesco
9

Créée

le 16 août 2022

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