Metropolis
8.1
Metropolis

Film de Fritz Lang (1927)

Après avoir vu le Docteur Mabuse, je poursuis mon visionnage de la filmographie de Fritz Lang. Metropolis donc, le premier film inscrit sur Registre de la Mémoire du monde de l'Unesco et pour lequel il y a, vous vous en doutez vu la taille de la critique, pas mal de choses à dire.

Commençons par ce qui saute aux yeux : Fritz Lang maîtrise bien mieux son œuvre. Le film ne dure environ que 2 h 30 (depuis que la version restaurée de 2010 est disponible, il ne manque plus que cinq minutes de film), contrairement à un Docteur Mabuse qui durait 4 h 30, mais est bien mieux maîtrisé, nous raconte bien plus de choses, sans pour autant donner l'impression d'aller à mille à l'heure, de passer sans cesse d'un sujet à un autre. On notera d'ailleurs que la dernière demi-heure de film retrouvée en 2008 l'a été en Argentine… comme quoi, on retrouve pas mal de trucs allemands là-bas. Plus sérieusement, une des solutions qui permet au film de mieux s'en sortir tout en étant plus court est l'utilisation des cartons. En effet, ces derniers étant employés d'une manière plus parcimonieuse que dans Docteur Mabuse, on se tape beaucoup moins de textes à rallonges et on profite davantage du jeu des acteurs. Fritz Lang se permet d'ailleurs de jouer avec leur usage, un carton nous introduisant par exemple la descente en ascenseur des ouvriers en allant lui aussi de haut en bas et un autre étant en forme de pyramide afin de marquer le contraste entre ceux d'en haut et ceux d'en bas. Pas forcément très fin, mais ça fonctionne.


Vous vous en doutez, il va être (extrêmement) compliqué de parler de Metropolis sans parler de politique… et pour le coup, il y a énormément de chose à dire sur le film dont il est question ici. Commençons par le plus simple, par la métaphore simpliste que je viens d'évoquer plus haut : le contraste entre les puissants et les faibles, les riches et les pauvres… « le cerveau et les mains » pour citer directement le long-métrage. Aïe ! Rien qu'avec cette « simple » phrase, répétée de surcroit à plusieurs reprises, il y a énormément de chose à dire sur où s'ancre le film politiquement parlant. Déjà, si on peut trouver quelques critiques, quelques commentaires, considérant Metropolis comme un film très porté à gauche, voir comme ayant une portée marxiste, je ne vois pas comment on peut placer à gauche un film nous indiquant que les ouvriers sont des imbéciles et nous les montrant comme tel. Ce sont quand même des hommes et des femmes (on soulignera d'ailleurs leur hétérogénéité) qui auraient pu laisser leurs enfants crever sans s'en rendre compte (par contre, le fait que ce soit les classes défavorisées les premières impactées par la montée des eaux suite à la destruction de la machine fait immédiatement penser au naufrage du Titanic) et qui, de surcroit, ont systématiquement besoin d'un leader et, par opposition, d'une cible, pour agir. On notera d'ailleurs que l'un de leurs leaders, Freder (et accessoirement notre héros du jour), est un fait un fils à papa qui a ni plus ni moins décidé de sauver le bas peuple sur un coup de tête.

Pourtant, Fritz Lang n'a fort heureusement pas non plus réalisé un long-métrage prônant l'écrasement des plus faibles. Il suffit de lire (c'est un film muet pour rappel) la réponse de Joh Fredersen, le cerveau derrière Metropolis, à son fils Freder quand ce dernier lui demande où sont les gens qui ont construit cette ville de leurs mains pour s'en convaincre : le père lui assénant un très sanglant « À leur place… ». On notera d'ailleurs, telle une lettre de cachet revisitée, le fait qu'être directement licencié par le cerveau de Metropolis implique « la chute dans les Profondeurs ». Il est aussi très intéressant de noter que Josaphat, dont le prénom signifie « YHWH a jugé » en hébreux (merci Wikipédia), sera le plus fidèle compagnon au héros du film, en plus d'être la première victime directe de Fredersen. Pour le coup, difficile de ne pas voir une certaine prémonition de la part de Lang, en plus d'y voir une réelle avancée par rapport au Docteur Mabuse, film dans lequel il sentait bon la caricature antisémite par moment.

En fait, difficile de ne pas déceler un certain mépris des foules de la part de Fritz Lang. J'évoquais plus haut la folie des ouvriers quand ils sont en groupe, menés par un leader ayant désigné la mauvaise cible, mais il faut savoir en fait que même les plus aisés ne sont pas en reste. Voulant voir comment le monde s'écroule, et faire la fête par la même occasion, ces derniers suivent, eux aussi, d'un seul et même bloc le premier leader charismatique qui leur passe devant les yeux.

Pour reprendre sur les ouvriers, un autre exemple concernant le fait que ces derniers sont perçus comme de la merde par la Haute, est ce moment où ils se font tuer par la machine après que l'épuisement de l'un d'entre eux a causé son dérèglement. La M-Machine devient alors Moloch (décidément, il aime la lettre M le Fritz) à travers une scène hallucinatoires durant laquelle Freder voit cette dernière littéralement avalée par les ouvriers venant de se faire tuer… avant qu'il ne reprenne ses esprits et que les employés soient directement remplacés par d'autres comme si de rien n'était. Autre signe qu'ils ne sont plus considérés comme des êtres humains, leur démarche très mécanique et le fait qu'aucun nom de famille n'est mentionné les concernant : le détective privé (à la tête de requin) engagé par Fredersen nommant Georgy (qui ne flotte pas contrairement à ce que l'on pourrait croire) par son matricule. Par contre, contrairement à ce que l'on pourrait, Fritz Lang n'a cependant pas réalisé un film anti-progrès, la machine est finalement plus perçue comme un bien que comme un mal et le rapprochement avec la tour de Babel ne se fait finalement qu'en surface.

Du coup, vers quel système politique Metropolis s'oriente-t-il ? Ma foi, ça me parait assez évident : celle du fascisme. Après, il me semble tout de même important d'apporter quelques nuances. Lors du début du tournage du film, en 1925, le fascisme était italien uniquement, et il n'était évidement pas perçu de la même manière que nous le percevons aujourd'hui. Vu de l'extérieur, Mussolini n'était pas ce débile profond qui allait conduire son pays à la ruine (l'Italie n'était pas encore une dictature) et la théorie affirmant qu'une alliance entre ouvriers et patronat pouvait paraître plausible pour certains. C'est un film réformiste et non révolutionnaire quoi, un film dans lequel on nous indique en substance que la violence ne résout rien, que ce soit d'un côté comme de l'autre. Pour le coup, s'il y a bien un autre point sur lequel on peut critiquer Lang, c'est sur le fait d'avoir été un bien piètre prédictiviste, et non d'avoir réalisé un film pro-fascisme.


Surtout qu'il y a un truc que je n'ai pas dit jusqu'à présent, une information qui permet d'apporter une autre vision au film quand on la connaît : si Metropolis est l'adaptation du livre éponyme rédigé par Thea von Harbou en 1926, cette dernière, en plus d'avoir coscénarisée avec Lang l'adaptation, était mariée avec lui lors de l'écriture et du tournage du film et (et c'est là où ça devient réellement intéressant), contrairement à un Fritz Lang qui quittera l'Allemagne en 1934, notamment afin de fuir le régime nazi, Thea von Harbou, elle, rejoindra le parti en 1933, ce qui conduira au divorce avec son mari la même année. Je ne vais pas ergoter sur les véritables intentions de Lang au début des années 30, la proposition de Goebbels au réalisateur de prendre la tête du département cinématographique de son ministère (une proposition compréhensible quand on a vu le film) et le fait que, contrairement à ce qu'affirme Lang, qu'il n'ait pas quitté l'Allemagne immédiatement après cette proposition, mais quatre mois plus tard. Je retiendrais deux choses : premièrement, Lang a bien quitté sa femme et l'Allemagne malgré le fait qu'il risquait de tout perdre en partant ; deuxièmement, il répudiera, certes des années plus tard, la fin du film, assurant qu'il ne l'acceptait déjà pas quand il était en train de réaliser le film.

À partir de là, il est tout à fait possible de voir Metropolis comme la fusion impossible entre deux pensées diamétralement opposées… et même pourquoi pas comme une dispute de couple. Pas vraiment une interprétation que je partage, car, vu que ce qui ressort concernant le caractère du Fritz, ce n'était pas le genre de réal' à se laisser marcher sur les pieds (en plus de se comporter comme le dernier des connards avec ses acteurs, mais bon, ça va, ça, on a l'habitude). De surcroit, il me semble important de préciser que l'assistant réalisateur Slatan Dudow, qui filmera Ventres glacés quelques années plus tard, avait déjà bien fait comprendre au réalisateur que sa morale puait la merde. « Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » comme dirait l'autre. Bon après, pour sa gouverne, Le Voyage dans la Lune a, lui aussi, une morale bien merdique (bien colonialiste dans son cas) et ça ne l'empêche pas d'avoir une moyenne de 8 sur SensCritique malgré tout.


Cela dit, il faut bien noter qu'il n'y a pas que la fin qui peut être remise en question scénaristiquement parlant. En effet, par moment, le film tombe dans quelques facilités qui le rendent plutôt ridicule. Le rôle de Maria en tant que meneuse de la résistance est évident, à aucun moment on est surpris par son statut. De surcroit, lorsque Rotwang (interprété par un Klein-Rogge qui en fait des caisses certes, mais que j'adore toujours autant) créé une Machine-Homme (une sorte de cyborg avant l'heure en somme) en se basant sur Maria, on se doute que tôt ou tard, il va y avoir confusion entre les deux… et c'est ce qui arrive. Aussi, autant Freder est capable de distinguer du premier coup d'œil la vraie Maria de la fausse dans un premier temps, autant il en devient incapable par la suite… même quand celle-ci se met à rire alors que le public s'apprête à la foutre sur le bûcher. Par contre, s'il faudrait citer un passage bien capillotracté, c'est le moment où Freder passe devant la maison de Rotwang (maison qui dénote un peu avec le reste du décor) pile-poil au moment où il kidnappe Maria. Ça pour du hasard !… en plus dans une ville aussi grande que Metropolis !


Parce que pour le coup, la ville de Metropolis est réellement impressionnante encore aujourd'hui. Inspiré par la Tour de Babel d'une part (au point où la référence est directement mentionnée au sein du récit), on notera aussi une très forte influence de la Città Nuova d'Antonio Sant'Elia d'autre part. Vous savez, ce mouvement artistique du début du XXᵉ siècle très proche du fascisme italien ? Metropolis ne serait-il pas, en fin de compte, la concrétisation cinématographique de l'utopie mussolinienne ? Bon ok, j'arrête de vous emmerder avec ça.

Non parce que plus sérieusement, la ville s'inspire aussi d'autres mouvements artistiques, le plus flagrant étant l'art déco.

Aussi, référence qui devient évidente quand on connaît l'œuvre d'origine, Metropolis s'inspire de l'œuvre de Paul Citroen et notamment de son… Metropolis de 1923 (vous voyez bien que la référence est évidente une fois qu'on la connaît !). Une inspiration qui n'est pas que de nom puisque certains des plans peints du film, notamment ceux où la gravité et la perspective ont disparu, rappellent le photomontage de Citroen. Par contre, les dessins jurent quelque peu avec les moments où la ville, au format miniature (où cas où il faudrait préciser pour les deux du fond qu'ils n'ont pas construit en entier une ville à taille réelle) est filmée… avec des voitures d'époque et des biplans la traversant (effectivement, pas un très bon prédictive le Fritz). Quoique niveau prédictivité, on pourrait percevoir un certain « test de Turing » avant l'heure concernant la faculté de l'androïde pour se fondre parmi les humains et, plus concrètement, une séquence se fait en visio.

Par contre, il faudrait m'expliquer en quoi un film comme Metropolis, qui fut l'un des plus chers de l'histoire à sa sortie (au point de ruiner l'UFA), peut encore être considéré comme faisant partie du courant expressionniste ; courant initié suite à un manque de moyen et se reposant en majorité sur le symbolisme pour rappel.


On pourrait croire, à la lecture des nombreuses critiques que je fais à Metropolis, que c'est un film mauvais ou ayant très mal vieilli et qui n'a plus d'intérêt à être regardé aujourd'hui… que nenni ! Certes, le propos a mal vieilli et le scénario tombe parfois dans la facilité… pourtant, je ne peux que vous recommander son visionnage, ne serait-ce que les nombreuses œuvres qu'il inspirera par la suite : Dark City, Star Wars ou encore Blade Runner pour ne citer que les œuvres plus évidentes. Le fan de jeu vidéo que je suis reconnaîtra par ailleurs un certain pattern en ce qui concerne les villes en forme de pizza et celles provenant de titres tels que Final Fantasy VII ou Half-Life.

Une autre raison pour laquelle je ne peux que vous recommander le visionnage de Metropolis, c'est pour le choix de ses plans, qu'ils soient iconiques, audacieux ou christiques, je trouve le film d'une extrême richesse à ce niveau-là. Concernant ce dernier, impossible de ne pas évoquer ce passage dans lequel Freder tente tant bien que mal de s'occuper de l'aiguillage de la machine et qui rappelle forcément le Christ sur sa croix, ou encore, une fois arrivé au second tiers du film, au moment où Freder est alité, voir la personnification de la mort attaquer frontalement la caméra. Dans un contexte autre que religieux (le film est bourré de références bibliques de toute façon), la séquence durant laquelle Freder est alité est aussi l'occasion pour Lang de tenter tout un tas de trucs comme des plans regroupant plusieurs perspectives différentes en même temps, ce qui n'est pas sans rappeler une vision de mouche ou, pour y revenir une nouvelle fois, au Metropolis de Paul Citroen. Autre idée original : un court plan en vue subjective. Même les plans plus « classiques » jouissent d'une composition donnant l'impression d'être en face d'un tableau. Pour le coup, Fritz Lang a beau détester la foule, il arrive à très bien la filmer… quitte à la rendre très souvent ridicule (ce passage dans le club où tous les hommes sont en chiens devant Maria). Enfin, on notera la présence d'Eugen Schüfftan qui grâce à l'effet qui porte son nom arrive à donner plus d'ampleur, plus de grandiose, à certains plans (le stade du « club des fils » notamment).


Il y aurait encore pas mal de trucs à dire sur Metropolis, m'enfin, étant donné que cette critique est déjà assez indigeste à lire comme ça (de toute façon qui va la lire ?), personne ne m'en voudra si je décide de l'abréger.

Bref, Metropolis est perfectible certes, mais d'une grande richesse tout de même, à tel point qu'il est impossible de s'ennuyer ne serait-ce qu'une seule seconde devant. Un long-métrage dont le cas est très intéressant à analyser, que ce soit le film en lui-même ou tout ce qui gravite autour. En fait, même la manière dont le long-métrage a été conçu et vendu est intéressante : sa production et le fait qu'il ait été l'un des films les plus chères de l'histoire, comment il a été charcuté par la Paramount pour en faire un film de moins d'1 h 30, son échec et le fait qu'il a ruiné l'UFA (une recette de 1,5% par rapport au budget), jusqu'à ce que le film soit reconstitué (presque) en intégralité en 2008… pour le coup, on pourrait faire un film dessus. C'est d'ailleurs surprenant que les dernières minutes de films qui ont été retrouvées, d'une qualité déplorable (une copie croppée sur une pellicule 16 mm), n'aient pas encore bénéficié d'une restauration à l'aide de l'IA. Un film à voir forcément donc.

Créée

le 21 avr. 2023

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MacCAM

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