Metropolis
8.1
Metropolis

Film de Fritz Lang (1927)

À l’origine du futur se situe Metropolis : œuvre monstre, qui embrasse avec démesure la potentialité du cinéma, encore dans son âge muet, et qui, après les fresques monumentales de Griffith sur le passé, emprunte à Méliès sa fantaisie pour regarder vers l’avenir.

Revoir Metropolis émeut à de multiples niveaux. Tout d’abord par le regard qu’il propose sur la préhistoire du cinéma, sur une œuvre malmenée et démembrée, reconstituée par fragments au fil des décennies, et dont il nous manque encore certaines parties, qu’on ne retrouvera peut-être jamais. Par la folie d’un projet pharaonique qui bâtit une ville entière, mobilise des milliers de figurants et filme avec emphase la fin d’un monde. Par les cordes tendues vers un autre avenir, celui du cinéma, en construisant les fondations de la science-fiction par une cité qui irriguera bien des suivantes, de Star Wars au Cinquième Élément en passant par Blade Runner.

Paradoxe fécond, Metropolis est donc un récit futuriste doté de la force d’un récit fondateur : par sa place dans l’histoire du septième art, mais aussi par les questions que soulève son intrigue, qui mêle réflexion sociale dystopique et scientifique. Deux pans majeurs cohabitent : d’un côté, à l’échelle des individus, la thématique de l’accomplissement (celui du jeune homme idéaliste décidé à en finir avec l’iniquité inhérente au système, celui de l’homme mature et son processus de deuil qu’il croit pouvoir contourner par le recours à l’intelligence artificielle), de l’autre, le destin de la foule.

La force du souffle de Lang est assez déséquilibré en fonction de cette alternance. L’esthétique expressionniste trouve en effet ses limites lorsqu’il s’agit de filmer des personnes isolées, où le jeu outré, théâtral tout en agitations des mains et yeux exorbités révèle les coulisses les plus datées du film. En revanche, cette tonalité reportée à l’échelle de la ville entière et des masses qui l’occupe fait vraiment des miracles. Les bâtiments aux perspectives clivées, le jeu sur la profondeur et les machines personnifiées concrétise avec un sens autant graphique que symbolique le cauchemar de la mégapole. Après avoir posé les cloisons, le récit consiste à y intégrer les grains de sable de la discorde : c’est la vision prophétique d’une machine devenue dieu dévorateur dans une hallucination aussi spectaculaire que cauchemardesque. Cette transformation prendra plus tard les traits d’une humanoïde au pouvoir méphitique, dans une danse d’anthologie qui entrainera dans son tourbillon vénéneux la ville entière, jusqu’à son cœur de métal en fusion. Metropolis allie ainsi, d’une façon constante, le mécanique et l’organique, la structure urbaine et les nerfs à vif d’une passion destructrice : les réseaux obscurs (catacombes, égouts, ruelles du bas) sont autant de goulots qui communiquent et feront la perte du colosse, et Lang dessine avec virtuosité cette géographie symbolique.

Grand film sur la communauté, Metropolis est l’exploration d’un inconscient collectif, d’une foule traitée comme un individu, dans ses mouvements et ses revirements, au gré des flots agités d’une hystérie qui se propage comme le vent sur les vagues. Ce n’est pas un hasard si le feu et l’eau finissent ainsi par fusionner, pour mieux faire se rejoindre la ville du bas et celle du haut, qui dessinaient avec autorité la géographie sociale d’un monde que l’on connait bien. Le conte philosophique assume sa portée didactique et écrit noir sur blanc sa morale : le médiateur entre le cerveau et les mains doit être le cœur, et c’est bien le sien, battant la chamade, que Lang a réalisé ce petit monument d’un art naissant.

(7.5/10)


Genèse, contextualisation historique et analyses d'extraits dans la vidéo du Ciné-Club :

https://youtu.be/IUdu_SWxlXU

Créée

le 28 févr. 2019

Critique lue 2.3K fois

58 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

58
1

D'autres avis sur Metropolis

Metropolis
Sergent_Pepper
8

Hack to the future

À l’origine du futur se situe Metropolis : œuvre monstre, qui embrasse avec démesure la potentialité du cinéma, encore dans son âge muet, et qui, après les fresques monumentales de Griffith sur le...

le 28 févr. 2019

58 j'aime

1

Metropolis
EIA
10

"Entre la tête et les mains, il doit y avoir le coeur."

Qu'est ce qui a été réellement inventé en matière de science fiction après ce film? J'aimerais bien qu'on me le dise... Il y a tout ici. Les décors, ces tours qui montent, gigantesques, ces...

Par

le 10 août 2013

52 j'aime

15

Metropolis
GiorgiodeRoubaix
4

Il é tro bo

Toute mon appréciation de ce film tient dans une phrase de Buñuel : Metropolis est d'après lui « le plus merveilleux livre d'images qui puisse se composer ». (Ce à quoi j'ajoute quand même : « ... en...

le 11 avr. 2011

48 j'aime

28

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

764 j'aime

103

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

698 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

612 j'aime

53