Si seulement Alex Garland restait dans son formalisme... J'aime Alex Garland. Ses deux derniers films, Ex Machina et Annihilation, faisaient preuve d'un réel talent formel dans l'esthétique, la photographie et la cohérence thématique de leur sujet, offrant un spectacle visuel à la hauteur des enjeux du récit (en parvenant d'ailleurs à les transcender, malgré les imperfections). Mais ici, c'est un non. Une esthétique formidable et des concepts audacieux, qui pourraient tirer le film vers les cimes du drame intimiste enrobé de féminisme sincère et d'empathie pour ses personnages. Mais ici, tout est perverti par l'idéologie post metoo, à un point qui fait basculer le film dans les abîmes du prosélitisme, quittant sa matrice individuelle pour foncer dans l'essentialisme anti-masculin avec une putasserie qui dénote avec la finesse de sa mise en scène.

Si seulement l'émotion prévalait... Les principaux films féministes qui marquent le cinéma sont ceux qui développent l'empathie envers leur héroïne et qui ménagent leur point de vue sur les responsabilités de chacun. Pas ceux qui essentialisent les genres. Même dans leur caractère extrême, des films comme Brimstone ou Bedevilled offrent une palette émotionnelle riche et un jusqu'auboutisme sociétal qui canalisent l'émotion et offrent des variations régulières faisant office de nuances. Dans Men, tous les hommes deviennent nocifs. Ils sont d'ailleurs tous joués par le même acteur. C'est le concept du film, qui aurait pu être incroyablement puissant, si un détail avait été respecté : il fallait qu'ils aient tous le visage de son ex compagnon. A partir de là, l'essentialisme du concept aurait été nuancé par la névrose de l'héroïne, sortant d'une relation oppressante et projetant le fantôme de son ex dans tous les hommes l'entourant, y compris des potentiellement bien intentionnés. Mais ici, toute masculinité relève du Malin. Y compris dans toute génération (le sens de la longue séquence finale). Pourquoi d'ailleurs leur avoir donné le visage d'un mâle blanc quinquagénaire alors que son ex était un noir dans la trentaine ? Mystère et pasdamalgame. Et si on met tous les hommes dans le même panier, va-t-on se priver de généraliser avec ce film et l'envoyer dans le panier de Baise moi ?

Si seulement on prenait le temps d'écrire un script avant de surfer sur une vague... Metoo arrive à sa fin, comme de nombreuses illusions qui trouvent leur écueil dans la réalité. Renverser les rapports de force n'aboutissant qu'à de nouvelles injustices, notre regard tend à se porter vers des oeuvres plus nuancées que vers des oeuvres encore plus radicales. Men a un côté radical car il est sans concession, sans ouverture. L'accélération des sujets d'actualité, des débats et des postures n'a cessé d'agiter les esprits, et l'équilibre signifiant d'une certaine façon le consensus, le compromis, le radicalisme a toujours renchéri pour se prouver qu'il continuait à vivre. Si un film politique et féministe peut vivre, c'est par sa capacité à transcender le temps et le contexte, et tout cela passe par l'émotion (la nuance et la rationalité également, mais cela arrive en seconde partie, le cinéma étant un art émotionnel). Entre ciel et terre, voilà un film qui m'emmerde dans ses postures, mais que je ne me lasse pas de revoir pour son incroyable charge émotionnelle et sociale, transcendant le temps et l'espace pour nous offrir du grand cinéma d'auteur, sans effets spéciaux et concepts éculés.

Voracinéphile
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le 20 août 2022

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