Un choc comme on en voit plus que très peu dans les salles de cinéma. Une œuvre qui vous hante encore longtemps après la projection. Un film à revoir pour en saisir toutes les nuances et le symbolisme. Un long-métrage d’une beauté plastique indécente. Un final totalement fou et presque insoutenable. « Men » c’est tout cela et bien plus encore, c’est quelque chose de totalement azimuté et intelligent à la fois qui ne laissera certainement pas le spectateur indemne. En l’occurrence le genre d’expérience visuelle, sonore et psychologique viscérale et jusqu’au-boutiste qui marque longtemps et qui divisera forcément son auditoire. Mais on ne pourra pas reprocher à Alex Garland de se conformer à quelque mode ou tendance que ce soit. Son film est unique en son genre, inclassable et clairement sujet à débat. Et en cela, c’est une réussite incontestable, qu’on n’adhère ou pas au propos, une œuvre de la trempe de « Titane » ou « Crash ».


Si « Men » emprunte fortement au fantastique et à l’horreur, surtout dans son dernier acte d’une folie à la fois jubilatoire et repoussante, ce serait réducteur de le limiter à cela. On est en effet très loin des séries B horrifiques qui pullulent sur les écrans voire même du nouveau cinéma fantastique indépendant prôné par Ari Aster ou encore Robert Eggers. C’est un film si singulier qu’il ne se range dans aucune case et c’est tant mieux. Un long-métrage qui parle avant tout du drame vécu par une femme, le personnage principal joué par l’impeccable Jessie Buckley. En filigrane, tout le film est parcouru par le rapport des hommes dominants sur la femme victime. On peut donc percevoir une critique de la masculinité toxique et de toutes les formes qu’elle peut prendre. « Men » se positionne donc comme une nouvelle réflexion très actuelle sur l’ère #metoo, mais une réflexion hautement symbolique et fataliste qui métaphorise le machisme, le patriarcat ou le harcèlement que peut subir la gent féminine. C’est ce qui explique que tous les autres rôles soient joués par le même acteur (l’impressionnant Rory Kinnear dans la/les composition(s) la/les plus folle(s) de l’année) : les hommes du titre sont donc tous les mêmes et cela ne changera jamais. Il est difficile de percevoir toutes les significations présentes à l’écran mais c’est clairement les abus des hommes sur les femmes qui sont mis sur la table ici. On a plus de mal à décortiquer d’autres aspects comme l’omniprésence de la nature et les signes en rapport avec le religieux et leur rôle dans cette histoire mais ce qui donne envie d’une seconde vision.


En effet, « Men » fait partie de ces œuvres où il faut accepter de nous pas tout comprendre à la première vision, voire de ne pas tout saisir tout court, laissant libre court à l’appréciation de chacun dans un théâtre envoûtant de l’horreur organique et psychologique. Tout le film est une allégorie amenant à une catharsis qui débouche sur maintes interprétations, sans qu’aucune ne vaille plus qu’une autre hormis logiquement celle de son auteur qui se garde bien de nous la fournir. On n’est tout de même pas dans l’horripilant et obscur « Mother! » de Darren Aronofsky mais le principe est le même. En revanche, personne ne contestera l’incroyable maîtrise formelle de Garland. Après « Ex Machina » et « Annihilation », le cinéaste est en train d’ériger une filmographie incroyable avec pour dénominateur commun, un sens esthétique de premier ordre. Son film est beau à se damner et rarement on a vu la Nature aussi bien filmée. Très travaillée et sophistiquée, elle épouse parfaitement son sujet et sa mise en scène tutoie le sublime. L’atmosphère est malsaine et étouffante et elle se collapse avec la magnificence des images. Le film n’oublie pas de nous faire peur et sursauter à maintes reprises, nous met constamment mal à l’aise pour ensuite volontairement nous écœurer avec plaisir lors d’un final gore au possible qui ferait presque passer les délires organiques de Cronenberg pour des jeux de cour de récré. « Men » est une sacrée expérience de cinéma, prompte à nourrir les débats passionnés mais c’est surtout une claque visuelle, thématique et sensorielle en plus d’un sacré coup de pied au formatage actuel. Un petit chef-d’œuvre en devenir!


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JorikVesperhaven
9

Créée

le 26 mai 2022

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Rémy Fiers

Écrit par

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