Pour se remettre d'une terrible tragédie, Harper loue une charmante maison au fin fond de la campagne anglaise. Bientôt un mystérieux inconnu rôde autour de la demeure alors que tous les hommes des alentours semblent avoir le même visage, celui de l'excellent acteur Rory Kinnear en l'occurence...

Tout est à peu près dans le titre en ce qui concerne la généralité de la thématique abordée par Alex Garland, même les premières minutes où le gardien des lieux fait remarquer à Harper (sur un ton léger certes mais lourd de sens) qu'elle vient de commettre le péché originel en croquant dans une pomme du jardin sont le jalon explicite de tout ce qui suivra. Quelque chose de terriblement pernicieux, se mouvant de son incarnation patriarcale la plus ancestrale à la plus personnelle aux yeux de Harper va venir la tourmenter en ressassant avec un même visage de mâle lambda chaque mot, chaque reproche formulé, chaque image violente et même un regard en particulier intervenus lors du drame dont elle ne parvient à se défaire.

Par son approche, "Men" peut quelque part s'apparenter à une performance artistique dont on décèle vite les contours du message mais où son initiateur prend un malin plaisir à nous surprendre par la représentation plastique de chacun de ses méandres, ne cessant de les décortiquer pour en faire émerger de nouvelles idées de manifestations littérales à l'écran. En ce sens, Alex Garland livre un exercice captivant grâce à un champ du possible dont la croissance devient peu à peu sans limite, également étouffant même par l'atmosphère imprégnée de ce râle masculin permanent qui ne cesse de monter en puissance afin d'assaillir son héroïne par toutes les voies les plus insidieuses pour la blâmer. À ce titre, le final en restera sans doute comme le moment le plus magistral par la vision pensée en mode body-horror de sa forme la plus grotesque, s'amusant à relier la laideur de ces apparences/facettes de la condamnation unilatérale de la Femme par l'Homme pour ses propres défaillances entre elles par leur absurdité primaire et leur puérilité puante.

Bref, en cela, "Men" est un objet déroutant qui a le mérite d'exercer une fascination constante, bien épaulé par les prestations impressionnantes de Jessy Buckley et Rory Kinnear -on n'en attendait pas moins d'eux, cela dit.

Mais en attendait-on plus d'Alex Garland ? Peut-être car, si l'inventivité de la forme pour traduire le fond est rarement prise en défaut, l'exercice trouve quelque part ses limites sur les bases de son discours connu dans les grandes lignes dès le départ et même quant aux points à relier entre eux au fur et à mesure du déroulement choisi pour le récit. Il reste bien entendu quelques détails qui méritent une attention plus fournie post-visionnage mais, si l'on est adepte de ce genre de partis pris métaphoriques où l'intime se voit matérialisé dans une ampleur inattendue par le fantastique, "Men" apparaît avoir un degré d'interprétation assez prévisible (oserait-on dire plus court ?) que certains de ses confrères s'inscrivant dans le même registre (et personnellement, je suis très friand de ce genre de film, vous le savez si vous me suivez). Une fois le film terminé, il est clairement envisageable que la force de ses images, de l'étrangeté de son ambiance et du talent de ses acteurs soient les souvenirs instantanés qui vous viennent en tête plus que les fondations assez prévisibles sur lesquelles se construit l'ensemble à l'évocation de son titre...

RedArrow
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le 8 juin 2022

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RedArrow

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