Sorti un peu de nulle part, le premier Matrix fit en son temps l’effet d’une bombe, agglomérant dans une intrigue repiquée à Neuromancien de William Gibson une multitude d’influences (thématiques et visuelles), tout en annonçant à lui seul l’ère des comic books movies des années 2000 et 2010. Las, coincée entre une narration prétentieuse et une incapacité à renouveler le tour de force stylistique du premier opus, ses deux suites déçurent une grande partie de leur public et la trilogie Matrix fut rapidement éclipsée par les cartons des premiers Spiderman de Sam Raimi, des débuts d’Harry Potter et surtout, du Seigneur des anneaux. Un renouveau de la fantasy cinématographique qui éluda quelque peu la SF (ce n’est hélas pas la prélogie de George Lucas qui boosta beaucoup le genre), alors vulgairement revisitée par les supers héros en collants lycra d’Avengers, X-Men et consorts.

Resteront quelques irréductibles tels Neill Blomkamp, sa SF sociale et ses projets avortés, James Cameron et ses emprunts aux BD Aquablue ainsi que son adaptation décevante du manga Gunnm, Ridley Scott avec ses deux préquelles imparfaites mais fascinantes d’Alien, Spielberg avec sa superbe version de La Guerre des mondes et, plus tard, son très (trop ?) déférent Ready Player One, George Miller avec son grandiose Mad Max Fury Road, et, bien sûr, les Wachowski avec leurs multiples approches du genre.

Dans un contexte de renouveau des anciennes franchises, ce n’était qu’une question de temps avant que les producteurs de Matrix ne décident de presser une dernière fois le citron pour essayer d’en tirer encore un peu de jus. Une mauvaise habitude hollywoodienne quand on voit les nombreuses suites de trop qui ont pourri à elles seules certaines grandes sagas cinématographiques.

La question est : est-ce que Matrix valait sa résurrection ?

Ecrit et dirigé par une seule des soeurs Wachowski, Lana, ce nouvel opus s’ouvre sur une séquence qui, sans grande surprise, reprend, sous un angle nouveau, l’essentiel de l’intro du premier film. A ceci près qu’elle est cette fois-ci narrée du point de vue d’une nouvelle protagoniste, ici simple observatrice et référente du spectateur.

Loin d’être originale, l’approche enchâssée de ce prologue pompe l’essentiel de son idée sur l’intro de l’ignoble étron Terminator Genisys et nous annonce d’ores et déjà la teneur de cette suite tardive : capitaliser sur la nostalgie des fans en proposant une lecture méta du phénomène Matrix de l’époque tout en en modernisant les enjeux, en y intégrant une critique de l’entertainment crétin de ces vingt dernières années ainsi que quelques références à l’évolution de la pop culture et des outils ludiques (le jeu vidéo y devient un outil narratif plus pertinent que le cinéma, serait-ce une critique à l’égard de la merde franchisée que nous vomit sans cesse Hollywood ?).

Des sujets nombreux certes, mais à peine évoqués, tout juste survolés, Lana Wachowski privilégiant en fin de compte un sous-texte féministe au propos certes louable mais abordé de manière aussi subtile qu’une adaptation d’Hamlet avec Schwarzenegger. En gros, il s’agit ici moins de l’humanité qui lutte contre les machines que les femmes qui doivent s’imposer face à l’hégémonie masculine (Niobe face au spectre patriarcal de Morpheus « Après le siège, Morpheus a été élu à l’unanimité Grand maître du conseil. Ce qu’il a adoré ça !« , Tiffany se révoltant contre son vilain mari, Trinity défonçant la gueule du méchant psy sexiste).

Bref, le scénario brasse plusieurs idées intéressantes que la réalisatrice peine à traduire à l’image, la faute à un scénario maladroit enquillant les idées sans les développer correctement. D’autant plus que les vilains défauts narratifs de Matrix Reloaded et Matrix Revolutions ont tôt fait de réapparaitre, la réalisatrice/scénariste se vautrant à nouveau dans l’écueil de l’intrigue surexpliquée par des tunnels de dialogues.

Dès son intro, Matrix Resurrections pue le film d’auteur souffrant du complexe de Kubrick (rebaptisé complexe de Nolan de nos jours). A savoir que sa réalisation et son écriture hurlent : « mon film est bien trop intelligent pour que vous, simple spectateur, ne puissiez le comprendre au premier coup d’oeil« .

Ce qui était déjà le principal problème des deux premières suites : un pot-pourri de répliques nébuleuses et de circonvolutions foireuses censées complexifier une trame au demeurant déjà surexploitée (Philip K.Dick avec Second Variety, Harlan Ellison avec I have no mouth and i must scream, William Gibson avec Neuromancien et James Cameron avec ses Terminators, tous avaient déjà brodé leurs propres visions sur la même histoire de conflit hommes/machines) et donc relativement simpliste.

Et il faudra certes peut-être visionner deux fois ce dernier opus pour s’assurer d’avoir tout bien compris et en arriver à cette triste conclusion : Matrix Resurrections est une énorme purge. De celles qui vous feraient presque apprécier les thématiques sophocléennes d’un Divergente ou même, pourquoi pas, la dimension naturaliste d’un film de Paul W.S. Anderson.

C’est bien simple, à l’exception du jeu de Keanu Reeves, de Carrie Ann Moss et de Jessica Henwick, et de la qualité du travail du vétéran John Toll (La Ligne rouge) à la photo, tout y est mauvais.

Les acteurs sont sans charismes et la plupart des personnages sous-développés. Quant à ceux qui reprennent les rôles de Morpheus et de Smith (Yahia Abdul-Mateen ll et Jonathan Groff), ils ne font même pas l’effort de calquer un minimum leur jeu sur celui de leurs prédécesseurs.

Le postulat est minimaliste (on réveille Neo et celui-ci veut réveiller Trinity parce que… l’amour), les scènes d’action aussi rares que mollassonnes et montées façon Marvel, les méchants cons comme leurs burnes, la direction artistique digne d’un Disney (toutes ces couleurs, c’est beau…), le score oubliable (où est passé Don Davis ?), les raccourcis narratifs aussi gros qu’une géante gazeuse (le briefing de Niobe où celle-ci lance ses généraux dans une opération suicide sans même leur expliquer la mission…).

Sans oublier les répliques auxquelles on ne comprend rien si on n’a pas fait huit ans d’études en ingénierie cyberpunk (« Codex exomorphique et oscillation paramagnétique« , « Cinquante mètres sous l’Anomaleum, une strate de filtres amniotiques cache une petite aération hexagonale ventilant le modificateur corpusculaire qui oxygène le biogel… « Utilise l’opérateur système pour désactiver les macérateurs« ).

(Spoiler) Quant au message final, il est bête à bouffer du foin : l’élu (traduisez Larry) devient une élue (traduisez Lana) et elle et son mec (autrefois héros messianique, désormais totalement émasculé) vont botter le cul de la vilaine IA misogyne en chef avant de s’envoler tous les deux dans le ciel en chantant main dans la main « Ce rêve bleu » de Rage Against the Machine. (Fin de spoiler)

C’est bien simple, tout est tellement gnangnan et mal torché qu’à côté de ce quatrième opus, Matrix Reloaded et Revolutions passent aussitôt du statut de « mauvaises suites » à celui plus indulgent de « suites décevantes ». Lana Wachowski aura beau jeter ça et là quelques nouvelles idées, le film ne séduira jamais la rétine, n’enflammera jamais l’esprit.

Parmi ces quelques idées, la plus amusante est cet emprunt fait aux zombies movies qui ont pullulé sur les écrans depuis vingt ans, les agents étant désormais remplacés par des hordes de civils rendus soudainement hostiles (le « mode meute ») et se lançant à l’attaque des héros, notamment dans un train surpeuplé (un clin d’oeil évident à Dernier train pour Busan).

L’idée la plus ridicule, elle, étant d’avoir voulu symboliser à l’image la paix humains/machines en affublant les rebelles de gentils robots aux looks plus proches de pokemons (kujaku et ses grands yeux) que de sentinelles.

Enfin, l’idée la plus intelligente est ce pouvoir qu’a le bad guy d’évoluer tranquillement au sein d’une scène d’action filmée en bullet time. Une idée idéale pour esquisser quelques enjeux.

Totalement prévisible dans ces grandes lignes (on se doute bien que Tiffany redeviendra Trinity et que le film, s’il a commencé de la même manière que Matrix, premier du nom, a de fortes chances de se conclure sur un envol), Matrix Resurrections se révèle surtout très ennuyeux à regarder.

Chiant est le mot le plus correct.

On passe deux heures et demi à contempler un écran riche en couleurs mais vide de sens avec le vague espoir qu’à un moment ou un autre le film décollera, qu’on aura enfin droit à une grande scène ou au moins à une séquence mémorable, digne de la gifle que fut, à son époque, le premier film.

Mais… Non.

Rien.

Alors on regarde jusqu’au générique (10 min de crédits pour une purge pareille…), ou bien on abandonne avant la fin, et l’on fait comme on a fait pour Alien, Robocop, Terminator, Predator, Die Hard et Indiana Jones, quand ils eurent à souffrir eux aussi de leurs suites de trop : on fait le deuil de la cohérence de la saga, on ne garde que le souvenir des premiers films et l’on rêve d’un monde (ou d’une matrice) où cette résurrection n’a jamais eu lieu.

Buddy_Noone
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le 4 mai 2023

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Buddy_Noone

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