Mars Express
7.5
Mars Express

Long-métrage d'animation de Jérémie Périn (2023)


MARS EXPRESS

La première chose qui fait plaisir, avec Mars Express, c’est que je l’ai vu en fin de carrière dans une salle pleine et enthousiaste, au fin fond du wasteland breton. Ca fait vraiment plaisir de voir que les gens se déplacent pour un film de SF français ! Ensuite, soyons clair, la démarche de ses auteurs, leur ambition folle et la dégaine du film enchantent, et imposent le respect. Voilà. Le film a beaucoup de qualités et, pour ma part, je n’ai eu aucun souci avec l’animation, son aspect parfois minimaliste, et j’ai trouvé que le film était visuellement très beau. Voilà voila. L’univers décrit est sympa à suivre et de nombreuses petites trouvailles ludiques (les robots qui niquent, la communication par pensée, le robot qui se fout en veille pour capturer un humain…) amusent ou surprennent, rythmant un film au propos particulièrement dense déployé sur une durée qui reste fort raisonnable. Mars Express raconte plus de choses dans un univers (plus ou moins) inédit en 80 minutes que bien des films qui s’étalent laborieusement sur plus de deux heures. Voilà, voila, voila.

Parce qu’au delà de ses évidentes qualités... j’ai quand même un peu couiné.

J’ai déjà eu du mal à gober la cohérence du monde décrit par le film car, si d’un côté une telle colonisation sur Mars nous envoie évidemment dans un futur assez lointain, la distance évoqué de deux siècles dans le futur me semble être un bond temporel énorme par rapport à la familiarité que m’évoque tout ce que je vois à l’écran. Il n’y a rien d’incompréhensible, et toutes les technologies semblent découler de ce qui existe déjà, ou de ce qui nous attend au coin de la prochaine décennie.

J’aurais aimé voir appliqué à notre futur l’effort d’originalité que Scavengers Reign a, par exemple, développé pour la biologie de sa planète. Et puis, comme souvent, lorsqu’on veut trop en faire, on en fait trop, et certaines choses m’ont vraiment bêtement sorti du film. L’idée des « dupliqués », de copie synthéthique d’une personne, comme celle de cette jeune étudiante qui s’est créé un double qui va bosser pour elle, ou comme le collègue de l’héroine, décédé sur le champ de bataille mais réincarné dans un droïde, tout ça, c’est une idée plutôt chouette prise rapidement dans le flux du récit, mais un peu con, finalement, lorsqu’on songe deux secondes aux implications qu’elle peut avoir. C’est simplement l’idée d’immortalité. Ca me fait penser à cette scène un peu navrante d’Avatar 2 où on t’explique qu’on pêche des baleines pour avoir un elyxir d’immortalité, mais qu’au final c’est juste un machin qui coûte un peu cher, et dont on se fout un peu, comme pourrait l’être la poudre de cornes de rhino pour le marché chinois. Si une étudiante fauchée ou un soldat de base peuvent devenir immortels, si l’humanité peut, aussi facilement, accéder à l’immortalité, les enjeux du film me semblent complètement caduques, parce que ça fait naître chez moi tout un tas de questions qui brouillent complètement ma perception de l’univers auquel je suis censé adhérer.

Ensuite, le côté « SF avec des androïdes » vu à travers une version « futuriste » du « film noir », avec cette fameuse ambiance Chinatown SF... Bon. Pourquoi pas, mais en fait si, pourquoi ? Est ce que c’est vraiment une bonne idée, aujourd’hui, que de vouloir appréhender un récit de Hard SF ainsi ? Dans le fond, j’ai rien de contre, mais j’ai trouvé ça très artificiel et un peu balourd, qu’il s’agisse de la porte peinte façon années 40, ou l’alcoolisme du personnage…

Après, est-ce parce qu’elle aurait plutôt tendance à regarder en arrière que cette enquête m’a rapidement lassé, ou est-ce parce que j’ai trouvé que l’intrigue se prenait un peu les pieds dans le tapis et que, si on pouvait effectivement saluer la densité du scénar, j’ai sincèrement trouvé ça plus laborieux que complexe, et un peu plus chiant que mystérieux ? Je ne sais pas trop, et même si j’ai vraiment eu envie d’y croire pendant une bonne partie du film, la dernière ligne droite m’a achevé. Au delà d’une scène d’action contre un robot scorpion que j’ai trouvé assez reulou, c’est surtout la façon dont le film anthropomorphise l’idée d’une IA qui chercherait à s’émanciper de l’humanité. Comme si une IA allait réagir comme nous, ou allait poursuivre les mêmes rêves que nous, ou aurait la même démarche émancipatrice. Jadis, qu’on ait utilisé au cinéma les robots comme une métaphore des classes laborieuses ou des minorités opprimées, bien sûr, pourquoi pas, très bien... mais aujourd’hui ? Je trouve ça vraiment ringard et dépassé. Lorsqu’on lit (l’excellent) livre making of d’Artificial Intelligence, le film de Spielberg, c’est déjà quelque chose qui semblait se détacher du récit incroyable du développement de ce projet, lorsque ce n’était encore qu’un Work in Progress sur le bureau de Kubrick. J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait une bataille qui se menait alors entre la vision d’une IA qui serait une métaphore de notre humanité, le fameux Pinocchio du XXIIe siècle, et la volonté d’imaginer ce que pourrait être une « autre » intelligence, qui nous dépasserait, et qu’on ne pourrait, évidemment, pas comprendre, dans un prolongement fascinant de 2001, faisant d’AI la suite spirituelle de son chef d’oeuvre de 1968. Bref, le « work » est finalement resté à jamais « in progress », et on ne saura jamais ce qu’aurait pu, ou dû être, in fine, ce film. Alors oui, à ce sujet, Mars Express m’a franchement déprimé, et lorsque j’entends le réal évoquer ses robots « exploités » en disant qu’ils représentent, pour lui, des « esclaves Noirs », ça me rassure. Si finalement, je n’ai pas vraiment aimé le film, malgré toutes ses qualités, c’est qu’il y avait de bonnes raisons.

MelvinZed
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le 13 janv. 2024

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Melvin Zed

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